Telle un « vers à soi », elle secrète son fil… Par Saloua Mestiri
Les larges surfaces teintées sont de laine tissées.
Larges plages de fil engendrées. Figures aux contours nets que les lignes droites et incurvées accompagnent sans jamais guider…
C’est le corps de la laine qui s’expose…virginal ou bistre exaltant ses briques azurs, ses briques hâlées et olivâtres, ses briques embrumés et rougeâtres de henné à satiété versé.
Ignorant tout cadre, des signes à l’origine obscure traversent indifféremment les limes des contrées qu’ils rencontrent…faisant des plages de couleurs qui s’étalent, des lieux largement ouverts…
Telle Pénélope dans son geste réitéré, telle Shahrazade au discours reporté, dans ses lunes renouvelées, telle Zineb Kadmiri, par son geste nourricier, Amina l’artisane, ne cesse de conter …
Elle tisse sa toile et renoue avec un geste qui lui vient du passé…
Elle peint point par point, strie après strie ses fragments de voiles…des intervalles qu’elle déplie à volonté, à chaque fois les mêmes et toujours différents…
Telle un « vers à soi », elle secrète son fil. Un fil qui, se déroulant, semble venir d’elle.
Fil qui, se retournant, apparait entre ses doigts multiplié. Porté par la trame, mené par la chaine…elle en assure la double articulation.
Elle est le fil qui s’accroche, le fil qui avance, et le fil qui se maintient, toujours résistant.
Elle est la couleur, elle est la matière…
Le fil qu’elle secrète et qu’elle glisse ensuite, à travers les lignes d’écriture de son métier à tisser, est celui qui la traverse. Cordon nourricier, il la déroule, la défait avant de s’enrouler de nouveau et reprendre sa traversée.
Un cordon qui s’insère, constant et soumis, par un peigne qui l’ancre dans un morceau qui s’écrit, dans des caractères toujours inédits. Chorégraphie répétée d’un fil, pour un chapelet aux nœuds percés chacun d’un trou : un œil qui nous regarde.
Je ne sais ici, qui engendre qui et qui témoigne de qui… du poète ou de ses mots qu’il invente, du tissage ou de l’écriture qui s’y déroule…
Je ne sais qui raconte qui … Qui regarde qui … Du fil qui s’amplifie ou des signes qui le déplient dans les plages aux vagues ridées.. Plages terres et plages mère que l’artiste, face à son métier, patiemment, accueille et que, par son cordage coloré, réinvente et amarre…
Ce sont à chaque fois des rivages qui se font face, inlassablement, tour à tour enluminés de lumière, tamisés de sombre ou baignés d’alluvions…limes qui absorbent le fil, à jamais errant …
Ces partitions qui jaillissant des doigts, aucun carton ne les a précédé, aucun plan ne les a régenté. La pratique y étant toujours première. …
Elle est de cette qualité du geste qui fait dire à Matisse : « Je veux dire que ma route n’a rien de prévu : je suis conduit, je ne conduis pas…comme l’araignée lance (ou accroche) son fil à l’aspérité qui lui parait la plus propice et de là à une autre qu’elle aperçoit ensuite, et de point en point établit sa toile »
L’enfantement étant réciproque, l’artiste, nécessairement artisane, premier témoin, en serait la première étonnée…
Ce type d’espace semé sur toute sa largeur, d’une succession de stries et de nœuds, fait aussi penser aux termes avec lesquelles Alechinsky définissait l’écriture, corde liée de façons diverses, comme des boucles que l’on fait et que l’on défait…
« Le dessin » disait-il aussi, « vient de l’écriture dénouée et nouée autrement ». Signe et symbole, il associe dans un lieu commun le figuratif et le non figuratif…
Un nœud comme une Lettre Autre, une torsion qui enserre le vide, l’enferme et suggère un passage.
Fil de trame et fil de chaine portent ainsi dans leur chair, les limites du texte que le geste assidu inlassablement recommence…
Le nœud, dans le Texte Coranique n’est-il pas d’ailleurs, lié à la parole ?
Moise n’a-t-il pas dit : « Oh ! Mon Seigneur! Elargis ma poitrine; facilite ma tâche; dénoue le nœud de ma langue afin qu’ils comprennent ma parole »
Délier le nœud reviendrait à déployer un texte que le fil rend soudain possible, pour le retour de cette Parole égarée, première, impénétrable…
Tisser serait alors, transcrire la parole dans un cordon nourricier. Verbe originel que l’écriture seconde dans son discours aligné, aurait égaré…
Le tissage serait ces boucles qui s’attachent et se succèdent dans un geste qui, réitéré, piétine pour cette contrée écartée qui ne s’exposerait à nous que pour mieux nous échapper…
Saloua Mestiri
Répondre