Le Néo-Destour n’était pas un parti politique.

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Le Néo-Destour porte, au niveau de son appellation même, l’explication du processus de son apparition au sein de la réalité tunisienne. Il n’a pas été un nouveau parti, venu s’ajouter à ceux qui existaient déjà et enrichir, par là même, l’institution pluripartiste dont l’administration coloniale tolérait la transplantation en Tunisie.  Institution qui permet, qu’on veuille l’accepter ou non, un contrôle plus efficace du champ politique tunisien. Le fait même de canaliser la vie politique en activité organisée dans le cadre de partis politiques constituait, en soi une approche sécurisante pour l’ordre colonial établi.

Car L’institution qui sert de base à cette organisation n’est autre que les partis politiques à l’occidentale. Et celle-ci étant importée, toute activité politique entreprise en son sein, pouvait-être facilement cernée par les producteurs authentiques de cette institution: à savoir, les penseurs politiques occidentaux.

Une activité politique comprise, prévisible, nécessairement programmable, donc cernable et repérable par l’adversaire, n’est pas réellement dangereuse pour lui. Elle pourrait même lui servir de «légitimation» à sa prétention à l’Universalité qui s’enrichirait ainsi, de l’apport de ceux qu’il domine. Un peu comme le faisaient les Romains qui, pour mieux asservir les peuples qu’ils soumettaient par la force des armes, s’empressaient, une fois qu’ils les ont « pacifiés » d’adopter leurs dieux.

D’où l’on comprend, d’ailleurs, les connivences objectives, voulues ou non voulues, qui ont existé entre l’administration coloniale et les partis tunisiens d’avant le Néo-Destour et ceux qui lui étaient contemporains.

Rien qu’en rappelant, donc, les conditions de sa naissance, nous trouvons que le Néo-Destour, en tant que formation politique organisée, ne pouvait pas être pris pour un parti comme les autres que comprenait l’institution pluripartiste d’origine occidentale. Il est né non pas de la confirmation de cette institution, mais dans et par le détournement de celle-ci. Et rien qu’en cela  on pourrait expliquer le fait qu’il ait si bien réussi à « détourner » l’histoire coloniale et l’empêcher, de la sorte, d’atteindre les buts qu’elle s’était fixées, c’est è dire l’assimilation du peuple tunisien au sein de l’Empire coloniale français d’une manière définitive.

Un attitude critique à l’égard de toutes les idéologies.

Le Néo-Destour ne sera pas un nouveau parti, fondé, lui aussi, sur une analyse « définitive » de la réalité tunisienne, sur une idéologie « claire » autour de laquelle viennent « s’agglutiner » les futurs adhérents. Une idéologie qui permettrait, de  par sa « clarté « aux « consommateurs de slogans d’y adhérer facilement. En se réduisant, par là même, à des moules dont on peut repérer les lieux et les limites de leur « adhésion » ou plutôt de leur « adhérence ».

Bourguiba n’a pas commis l’erreur de « faire ce cadeau » à  » la pensée politique occidentale qu’il ne connaissait que trop. Et c’est, peut-être, parce qu’il l’a profondément étudié qu’il en a compris les limites. Et comme toute personne qui parvient, par la maîtrise réelle d’un champ de  connaissance, à le dépasser sans le renier, le jeune avocat et l’ancien étudiant de l’Université parisienne était parvenu à se libérer de l’emprise aliénante de cette pensée politique. Tout en y prenant ses propres instruments pour mieux la combattre.

Ce dépassement de la pensée politique occidentale, a commencé d’abord, par le refus du « mode de formation » propre à la fondation des partis politiques traditionnels. Un mode de formation (comme on dit mode de fabrication ou bien de production) qui consiste en la mise au point d’un programme politique clair et déclaré dont le dosage est plus ou moins heureux, permet de « faire vendre le produit idéologique » en question. Un programme qui n’est, dans le meilleur des cas, que le résultat d’un effort de réflexion fait par une élite, de préférence intellectuelle, qui, une fois «achevé» et «mis au point» est proposé aux adhérents, comme ligne d’action, capable, si on l’applique «fidèlement, de transformer la réalité dans le sens prévu et souhaité.

Une « rupture épistémologique» dans le champ de la théorie politique.

Le dépassement de ce mode de formation des partis politiques à l’occidentale amènera Bourguiba à découvrir, avant tous ceux qui se rendront compte, un demi siècle plus tard, de la faillite des idéologies, la dimension créatrice de l’attitude critique à l’égard de toute idéologie quelle qu’elle soit.

Une attitude qui n’est pas faite – et nous devons le souligner- de refus systématique de ces idéologies, mais d’un réexamen méthodique permanent des suppositions théoriques à travers lesquelles s’expriment les vérités du moment.

Ce réexamen se fait par la mise de ces suppositions, à l’épreuve du réel, non pas du Réel dans toute sa platitude conservatrice et «immobilisatrice» (l’action bourguibienne ne relève pas du réalisme) mais  dans l’exigence de «bon sens» qui le traverse et le fait évoluer. Ce qui fait que ce réel ne se trouve pas, par l’effet de cette confrontation à l’idéologie qu’on y vérifie, ni confirmé ni récusé. Il est tout simplement appelé à se transformer autant que l’idéologie qui est soumise à son épreuve.

Cette méthode de la «mise au point permanente» accompagnée de la transformation continuelle de la réalité est illustrée non seulement par la logique qui a présidé aux différentes actions entreprises par Bourguiba et son « parti », durant la période coloniale, mais également par les actions qui ont permis au Néo-Destour, hier et au PSD, aujourd’hui de demeurer incontestablement le parti guide de la Tunisie indépendante.

Comme on peut le constater, la fondation du Néo-Destour, a constitué une sorte de «rupture épistémologique» dans le champ de la théorie politique dont l’Occident reste le principal producteur.

En effet, par beaucoup de ses aspects que nous venons de présenter, le Néo-Destour se trouve à la limite de ce qu’il est convenu d’appeler un parti politique.

«La clandestinité en plein jour».

Quand on observe son évolution durant la période de lutte de libération nationale et particulièrement ses rapports avec la réalité dominée par l’administration coloniale, on s’étonnera particulièrement de cette ambigüité entretenue par son Leader. Son action se situait toujours à la limite de la   légalité institutionnelle, toujours près à la transgresser, sans pourtant, glisser dans la révolte. Entre la  clandestinité de ceux qui «se passent » de parti et la tranquillité de ceux qui luttent par les moyens légaux, on pourrait dire que Bourguiba avait pratiqué «la clandestinité en plein jour».

C’est ce qui explique la perplexité dans laquelle s’est trouvée l’autorité coloniale face à ces actions révolutionnaires qui se présentaient toujours sous la forme la plus respectueuse du droit. Ainsi le Néo-Destour a été, pour les ultras, un parti dangereux  qu’il faut abattre et pour d’autres un parti « modéré » avec lequel il faudrait dialoguer et discuter.

Et dans les deux cas, le parti de Bourguiba était irréductible. A la table des négociations, il se présentait fort de sa maîtrise effective du réel et face à ses juges, il ne pouvait tomber sous le coup de la loi, étant donné qu’il demandait toujours l’application de celle-ci dans son esprit.

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