Comme, pour l’Enseignement Supérieur dans son ensemble, la réforme de l’enseignement des disciplines de langues, de littératures et de sciences sociales ne peut se passer d’une redéfinition nécessaire de ses objectifs, qui nécessite pour ce faire, une réévaluation méthodique du rapport entre le contenu et le mode de fonctionnement de l’enseignement de ces disciplines et les réalités nouvelles.
Et à ce sujet, peut-on, aujourd’hui, (et seulement à titre d’exemple) ne pas tenir compte du fait que l’activité d’écriture est marquée, elle aussi, de l’impact des nouvelles technologies. Si pour le secrétariat d’une administration, l’usage de la machine à écrire n’a été qu’une transposition d’outil d’écriture et celui du clavier de l’ordinateur qu’une économie de « corrector » et de papier carbone, il en est tout autrement quand il s’agit de l’activité d’un écrivain, pour lequel la langue n’est pas seulement le véhicule de sa pensée, mais peut devenir le matériau même de celle-ci. Le retour sur l’ouvrage, plusieurs fois repris, dont témoignent les poètes, quand ils rendent compte de la poïétique de leurs œuvres, fait partie intégrante de cette activité de modelage de la langue dont les ratures, que portent les manuscrits d’auteurs, sont la trace. Ce malaxage du texte entrain de se faire devient invisible lorsqu’il s’opère sur un écran d’ordinateur, mais le jeu de modelage qu’est l’activité d’écriture devient plus riche et économiquement, plus performant,
Mais, les nouvelles technologies informatiques ne se limitent pas, comme on le sait, à l’emploi d’un logiciel de traitement de texte et désignent également un nouveau rapport à la recherche, dans lequel les nouveaux moyens de transfert, de copie, de collage et de consultation en ligne de banques de données, transforment la production de recherche en activité de citation d’un savoir qui ne peut plus couler de source et être d’origine.
Si cette réalité nouvelle semble perçue comme négative par les enseignants responsables de l’encadrement des recherches en masters et en doctorats, elle ne provoque de la part de certains, parmi eux qu’une réaction de « contrôleurs » qui les oblige, à recourir, à leur tour, aux nouvelles technologies, en faisant subir aux textes de leurs étudiants des tests « antiplagiat » assurés par des logiciels qui seraient spécialement conçus pour cette tâche.
Au-delà de l’aspect légitime que l’on pourrait trouver à cette volonté des encadreurs, d’empêcher leurs étudiants de recourir à la copie, il y a lieu, aussi, de rappeler, après Abdelfattah Kilito[1] que, déjà, « l’intrusion » de l’imprimerie dans la production du texte, avait introduit un changement de qualité. En supprimant la fonction de copiste, elle avait, en effet, provoqué une division à l’intérieur d’un même acte qui consistait à lire un texte en l’écrivant. Mais il y a lieu, aussi, d’observer que la reproduction « magique » d’un texte, transféré par téléchargement, crée une situation inédite, radicalement nouvelle, qui pourrait induire dans un nouveau mode de comportement, ou même de penser, qu’il serait légitime, aujourd’hui, de qualifier de dangereux, pour la préservation de l’humaine condition.
C’est dire aussi que l’écriture, tout comme la peinture, n’est pas, seulement, « cosa mentale » et qu’elle a toujours eu, en tant qu’art, une dimension matérielle évidente. Et l’on peut donc observer, que cette implication de « l’outil informatique » dans la production littéraire la plus traditionnelle, est de nature à nous rappeler que l’ère des nouvelles technologies ne concerne pas seulement les métiers en rapport avec la communication et qu’il n’est pas nécessaire de passer par la publicité pour établir un lien entre l’enseignement des lettres et les techniques nouvelles de l’époque.
L’époque, ce n’est pas seulement les nouvelles technologies, mais également, des besoins nouveaux, liés à une économie nouvelle, à laquelle il faut s’adapter et pourquoi ne pas participer à son enrichissement par la création d’activités nouvelles. Et cette tâche ne revient pas, seulement, aux ingénieurs, aux économistes, aux gestionnaires, aux hommes d’affaires et entrepreneurs de toutes sortes.
Comme on peut le constater, l’utilisation, au quotidien, des langues, (Arabe, Français et Anglais, pour nous limiter à celles dont l’usage est le plus répandu chez nous), par les moyens d’information, fait subir, à celles-ci, des transformations, imposées par leurs nouvelles fonctions dans l’économie de la communication. Mais, là où nos facultés des lettres, durant les trente dernières années, s’étaient trouvées, par la force des choses, face à ces réalités nouvelles qui auraient pu les inciter à redéfinir leurs rôles, le système s’était contenté de « s’adapter », en créant des structures autonomes d’apprentissage des langues, en tenant compte de leurs nouvelles fonctions, de « langues vivantes ». Laissant, par la même, dans un monde actuel que l’on dit dominé par l’image, le rôle de ces facultés, limité à la reproduction d’un moule de penser, dont la fonction identitaire symbolique, l’emportait, désormais, sur les fonctions « vitales » des langues vivantes dont celles de l’Arabe de communication et de presse. Renforçant ainsi l’inadéquation des profils de leurs diplômés, avec les besoins réels de l’économie.
L’enseignement des langues, limité aux Facultés des Lettres ainsi qu’à d’autres institutions, spécialisées dans l’apprentissage des langues vivantes, peut être l’objet d’autres observations.
La première, se rapporte à l’acceptation de ce partage, entre institutions différentes, de l’enseignement de l’Arabe, du Français, de l’Anglais et d’autres langues actuelles ; partage qui laisse sous entendre, par exemple, que l’Arabe, enseigné dans les Facultés des Lettres n’est qualifiable qu’à partir d’un raisonnement tautologique où l’on dira que c’est de «l’Arabe arabe»,dit classique, ce mot transcrit, phonétiquement comme tel, en Arabe même ; le vocable n’ayant pas d’équivalent dans le champ particulier de « l’expression arabe » que l’on avoue, au moins, différent de « l’Arabe vivant », Ce qui ne manque pas de laisser transparaître que nous serions, encore, entrain de réagir à une approche, réputée coloniale, qui se proposait, à une certaine époque, de léguer aux musées, l’Arabe, en tant que support d’identité nationale, et de le remplacer par ses déclinaisons vernaculaires.
Il va de soi, pour nous, aujourd’hui, que le problème ne se posant plus en terme de résistance nationaliste, il n’y aurait plus de raison d’opposer « l’Arabe moderne » au « dialectal » et de se priver de leur enrichissement l’un par l’autre, dans une logique de créativité dont nos artistes, hommes de théâtre et cinéastes, usent de la plus heureuse des façons.
Mais si le souci de réalisme et de communication de masse ainsi que la logique de rentabilité économique avaient imposé l’usage du dialectal au niveau du cinéma, faisant du parler égyptien la langue vernaculaire, la plus répandue, en dehors de son pays d’origine, il semble que l’usage du dialectal, n’aie pas été aussi évident, pour les versions arabes de productions étrangères audiovisuelles, à caractère artistique, tel que les dessins animés, les filmes de fiction, et les feuilletons de télévision. Des considérations de marché, semblent être à l’origine du recours, au niveau du dessin animé, à l’Arabe littéraire, supposée langue commune à tous les arabes, oubliant que cela n’est vrai que pour ceux qui ont été scolarisés. Mais étant donné l’inscription du dessin animé, en tant que genre artistique, dans le cadre de la production culturelle et éducative, destiné aux enfants d’âge scolaire, l’usage de l’Arabe littéraire, dans ce cas, peut donner des raisons de croire et d’espérer, à ceux qui souhaitent voir, un jour, tous les Arabes, « dépasser » l’usage des dialectes qui les « divisent » et revenir à l’utilisation par tous, de la même langue, supposée antérieure et ayant un effet « unificateur ». On peut apprécier le caractère utopique de cette approche de la question, tout en précisant que la recherche d’un moyen de communication commun, ne devrait pas se faire, aux dépens de l’expression enrichissante des différences. Car, en matière d’expression artistique et littéraire, dont les dialogues, au cinéma, font partie, il est très difficile de traduire ce que se disent les personnages, supposés vraisemblables, d’un feuilleton mexicain, dans une langue arabe classique des plus communes. A moins de considérer qu’il s’agit, dans ce cas d’espèce, de sous titrage sonore et non pas de versions arabes de ces feuilletons. Des expériences, plus récentes d’adaptation de feuilletons étrangers, sont, apparemment, plus instructives quant aux possibilités d’amélioration de la qualité de ces versions. L’usage du dialecte libanais, semble plus vrai, dans la traduction de certains feuilletons turques, traitant du mode de vie plutôt mondain, d’une jeunesse aisée, et à laquelle certains de nos jeunes se sont aisément identifiés. L’usage de l’Arabe libanais n’a pas été un obstacle à son appréciation par les jeunes maghrébins. Bien au contraire ! Dun autre côté, l’usage de l’Arabe littéraire dans l’adaptation d’un feuilleton historique coréen, semble lui aussi, réussi. Cela pourrait s’expliquer par une meilleure maîtrise de leur jeu, par les « doubleurs » arabes, mais pourrait renvoyer, en même temps à un facteur de nature encore plus esthétique. Il s’agirait de l’adéquation de l’usage de l’Arabe littéraire avec la dimension artistique d’une œuvre, dont le caractère historique et « visuellement » extrême oriental, situe son appréciation par le public arabe, au-delà d’un quelconque besoin d’identification.
De toutes manières, la question mérite d’être débattue, dans le cadre d’une approche de recherche, se rapportant à l’utilisation de la langue arabe comme langue d’expression, dans des champs artistiques nouveaux, par rapport a ceux que recouvrent les genres littéraires traditionnels. Et dans ce cadre particulier des besoins de la production culturelle contemporaine, le rapport entre « classique » et « vernaculaire » devrait être revu, à travers une démarche qui aurait pour objectif essentiel de doter l’expression arabe d’aujourd’hui des moyens endogènes de son évolution nécessaire.
En attendant, l’on ne peut, à ce sujet, que regretter ce divorce de fait entre les secteurs culturels, en rapport direct avec l’économie, que sont le Cinéma, la production audio-visuelle et le Théâtre, d’un côté, et l’enseignement et l’étude de l’Arabe dans les Facultés des Lettres, de l’autre.
[1] Abdelfattah Kilito : Le cheval de Nietzsche, récits, (page 16). Editions Le Fennec, Casablanca 2007. Maroc
2 réponses
Mahdi
Il y a aujourd’hui une vrai tentative des forces imperialistes francaises d’attaquer l’Arabe litteraire comme lors de l’occupation afin d’incruster le francais en Afrique du Nord. Leur raisonnement est que le delaissement de l’Arabe litteraire (en en faisant mois usage) conduira automatiquement a l’utilisation du francais comme langue formelle. Et ceci parce que l’anglais est en train de progresser qui risque de remplacer le francais. Il nous faut defendre notre langue nationale.
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