La Révolution tunisienne ne fait que commencer.
je pense que la Tunisie d’après le 14 Janvier 2011, n’est pas post-révolutionnaire. Car la Révolution tunisienne, à nulle autre pareille, ne fait que commencer. Elle vient à peine de passer l’épreuve de la phase réactionnelle, qui a transformé un soulèvement populaire en appât rance autour duquel se sont agglutinés les corbeaux sans foi ni loi.Tous au service de l’Empire. Ce n’est pas un hasard, si Béji a été élu et réellement élu, presque rien qu’en se donnant pour programme de redonner foi en lui-même, à un peuple qui, durant les 23 ans de Ben Ali a vécu dans l’indignité et l’absence des valeurs transcendantales qui font la différence entre les sociétés humaines et celles qui sont retombés en Barbarie. Lesquelles contrées ne se situent pas, comme on le disait à l’époque de Delacroix, en Afrique du Nord, mais en cet espace virtuel disséminé, partout et nulle part, et dont les administrateurs se prennent pour Dieu sur Terre.
Je ne dis pas que nous sommes exceptionnels. Pour avoir dialogué, au quotidien, et durant près de quarante ans, avec des étudiants, jeunes et moins jeunes, je sais que la génération qui n’a pas connu Bourguiba est aussi vulnérable, dans son ensemble, que le sont les jeunes d’Europe et d’ailleurs. Là où ne croît plus le sens de l’appartenance à une mère Patrie, de naissance ou d’adoption, les deux étant également ancrés dans la Métaphysique de la destinée individuelle propre.
Les historiens devraient faire attention aux mots et à leur déclinaison particulière, quand il s’agit de sentiments dits politiques. Le nationalisme de Lepen n’est pas celui de Bourguiba. Le journal des monarchistes français (monarchie populaire disent-ils, et j’ai dialogué avec quelques uns de leurs étudiants en 68 à Paris) a pour titre « Action française ». Et j’ai eu le plaisir, à mon retour en Tunisie de devenir l’éditorialiste de « L’Action », héritier de « L’Action Tunisienne », fondé par Bourguiba en 1934, qui est à l’origine de l’appellation de l’hebdomadaire « Afrique Action » de Béchir Ben Yahmed qu’il transformera en « Jeune Afrique ».
L’absence du sens d’appartenance identitaire concrète, non transformée en Idéologie, a amené le régime de Ben Ali a faire le lit de la Nahdha, en sciant la branche nationaliste bourguibienne sur laquelle il était assis. L’invulnérabilité de la Tunisie ne réside pas, seulement, dans celle de son territoire nationale, mais aussi dans l’idée mobilisatrice et unificatrice à travers laquelle les Tunisiens s’identifient à leur pays,…à leur drapeau . Il fallait les discours méprisant et orgueilleux des plus ignorants parmi nous pour ramener à la surface de notre inconscient collectif le discours salvateur de Bourguiba, qui n’est ni passéiste, ni nostalgique, mais radicalement ouvert sur l’Avenir de la Tunisie moderne qui construit sa contemporanéité propre.
Il est vrai que nous devons nous mettre au travail, seule voie possible pour nous sortir de l’état de délabrement dans lequel les plus ignorants parmi nous ont laissé le pays. Mais travailler ne nécessite pas seulement que l’on mange à sa faim. Comme le croyaient Ben Ali et les agents de l’Empire qui pensaient prendre sa place. L’énergie des peuples travailleurs réside, avant tout dans cette identification positive, à « Soi-même, comme Un Autre » qui permet de se river à un port d’attache pour aller à la rencontre de ses Autres. Pour pouvoir se « déterritorialiser » ,il faut s’ancrer quelque part, au gré de nos destinées. On est libre de devenir Tunisien, Français ou Canadien (Je n’ai jamais vu autant de drapeau que dans les aéroports. canadiens). Mais lorsqu’on est né quelque part, et on ne choisit pas son lieu de naissance, on n’est pas libre de s’en défaire car on ne le peut pas. Et c’est çà qui fait la richesse des nations composites qui savent joindre, en chacun des individus différents qui les composent, les riches ancrages multiples dont ils sont porteurs .
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