Affaire Nessma : l’apparent et le caché
Ce que le procès de Nessma provoque comme vagues sur la scène médiatique tunisienne et même internationale interpelle à plus d’un titre, bien au-delà des apparences, à partir desquelles, on tente de présenter la question comme étant celle de l’opposition entre une chaîne de télévision privée, qui se voudrait le porte drapeau de la liberté d’expression d’un côté et de l’autre des forces salafistes que l’on dit obscures et rétrogrades.
Cela gagnerait à être élucidé, non pas en cautionnant la version actuelle des choses, mais en essayant de voir ce qui pourrait encore se tramer entre un Président du Conseil, intégriste de confession musulmane qui ne cache pas sa sympathie pour l’intégrisme économiste et certains hommes d’affaires tunisiens et étrangers.
Commençons par rappeler des faits qui peuvent jeter du trouble sur cette vision que je trouve pour le moins simpliste et qui nous fait croire que Nessma n’a pas été pour quelque chose dans la mobilisation de l’électorat nahdhaouiste, en jouant au média indépendant, proche des laïcs, par qui le scandale arrive. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’un des gros actionnaires de la chaîne , en plein été 2011, s’est déplacé, en Italie, pour assister à la présentation « discrète » de Hamadi Jbali à Franco Frattini, homme politique italien, membre du Parti « Peuple de la Liberté » (Centre droit), Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Silvio Berlusconi, jusqu’au 12 Novembre 2011. Cette caution apportée par l’homme d’affaires tunisien à Hammadi Jbali, pressenti, bien avant les élections, pour assumer la charge de futur Chef du gouvernement tunisien, a été confirmée par l’intervention de ce même homme d’affaires, après les élections, dans une émission d’une chaîne de télévision française et dans laquelle ce dernier a tenu à rassurer l’opinion publique sur les bonnes intentions des Islamistes tunisiens quant au respect des libertés démocratiques et des acquis de la femme tunisienne. Ce qui semblait, pour le moins inexplicable, au moment où le procès de Nessma était déjà entamé.
A moins de considérer qu’il s’agit, ici, de faire d’une pierre deux coups. Particulièrement en ce qui concerne le grand tapage médiatique entrepris aussi bien par Nessma que par les salafistes qui en profitent pour rendre leur présence de plus en plus voyante…de plus en plus légitime. Surtout lorsque cette présence prend des formes « soft » de concert liturgique engagé, d’un goût pour le moins douteux et culturellement dégradant.
Au moment où, la crédibilité de Hamadi Jbali et les proches de Ghanouchi est largement mise à rude épreuve, ces derniers ne peuvent que continuer à faire croire à la menace des salafistes qu’ils prétendent être les seuls capables de les ramener à la raison, sans quoi la Tunisie sombrera dans le chaos, comme ne cesse de le répéter Ghanouchi.
Et comme par hasard, c’est à l’occasion de la reprise du procès Nessma que réapparait en force, le salafisme qui se veut expurgé de ses drapeaux noirs et exhibant timidement un drapeau tunisien, mais qui n’en continue pas moins à revendiquer le 6ème Califat promis par Jbali à ses troupes, au lendemain des élections. Cela, au moment où, par ailleurs, les interventions pour le moins irresponsables des milices nahdhaouis semblent indiquer q’elles bénéficient de protections au sommet du pouvoir .
Et comme les bons comptes font les bons amis, il va de soi que Nessma tire, elle aussi, les dividendes, en se présentant comme étant un instrument de résistance à la dictature et garant de la liberté d’expression, une méthode de marketing dont la Chaine Eljazeera a prouvé l’efficace.
Cette crédibilisation réciproque qui sous tend l’opposition apparente entre le Premier ministre Jbali et Nessma, pourrait expliquer la volonté déclarée du Gouvernement de « privatiser » la télévision nationale et d’en faire un partenaire avec lequel on peut négocier, sur la base d’intérêts réciproques bien compris. Tout comme c’est le cas pour Al Jazeera, Hannibal et…. Nessma.
Une réponse
Girard Micheline
Comme toujours, des articles intelligents et subtils qui aident ceux de l’étranger à mieux saisir les réalités sur le terrain… dommage que tu n’aies pas le temps de traduire tous tes articles! ce n’est pas un reproche je comprends très bien que tu t’exprimes dans en arabe c’est plus efficace pour la Tunisie, mais je me sens un peu frustrée. Continues comme cela , une pensée efficace et tranquille, qui creuse en profondeur et qui est très didactique pour les jeunes… A bientôt Inch Allah!