La volonté politique d’intégrer la production culturelle dans l’ensemble de l’activité économique, a commencé à faire jour des les débuts des années soixante dix. En 1973, Le Premier Ministre tunisien Hédi Nouira, lors de son inauguration de la première galerie privée, la Galerie Gorgi avait, dans une déclaration à la Presse , invité les
investisseurs privés à prendre le relais de l’Etat dans l’intérêt pour les activités culturelles qui pourraient devenir, elles aussi, lucratives et rentables. On invoquait souvent l’exemple du cinéma égyptien et de l’édition libanaise ainsi que la prise en charge, par les investisseurs du Golfe, de la production de séries télévisuelles égyptiennes.
C’était au moment où l’on venait, à travers la traduction en Français des oeuvres des penseurs de l’Ecole de Frankfort de découvrir la notion d' »Industrie Culturelle »que l’on dégageait de sa acception critique d’origine, pour lui donner le sens d’une évolution positive qui consistait à transformer la production culturelle « symbolisante », en Industrie culturelle à partir de quoi l’on procède à la réification de l’oeuvre d’art au sens que lui donne Théododor W. Adorno, ou bien à sa « chosification » au sens que lui donnerait Malek Bennabi en la réduisant à un produit de consommation.
Et depuis je peux dire que tout se passe comme si, au niveau des partenaires artistes ou de leurs associations culturelles ou même à celui du département des Affaires Culturelles, il y aurait un accord tacite qui reconnaîtrait la primauté de l’Economique sur le Culturel. Des exemples précis peuvent être cités, pour illustrer cette acceptation par tous de ce rapport d’échange inégal entre la culture et l’économie ; acceptation à partir de laquelle on soumet la vision libératrice de l’activité de création à celle rentable de l’industrie culturelle. J’avais, en effet, été invité à assister, en tant qu’observateur, dès les premières semaines de mon installation à Sfax (En tant que directeur fondateur de l’ISBAS Sfax), à des réunions de sensibilisation et de travail, consacrées à ce rapport entre Culture et Economie et au cours desquelles des responsables de l’Administration de la Culture, venus de Tunis, essayaient de motiver les entreprises locales à l’investissement dans le secteur culturel. Cela consistait en la présentation d’un certain nombre de suggestions, se rapportant à l’existence de domaines d’activité de production culturelle qui pourraient être économiquement rentables. Cette rentabilité escomptée, c’étaient les agents du Ministère qui essayaient d’en convaincre leurs interlocuteurs, hommes d’affaires et industriels, considérant, peut être, qu’ils sont plus à même de reconnaître les intérêts de ces derniers qu’ils ne peuvent le faire eux-mêmes !
Perçu à travers cette approche, idéaliste à souhait, adoptée par les fonctionnaires de la Culture qui ont commencé par se mettre à la place des investisseurs, cet intérêt projeté, ne pouvait être différent des motivations réelles des entrepreneurs. Il s’agit, dans les deux cas, de la même vision qui pose le comportement, immédiatement intéressé de l’investisseur non averti, comme étant indépassable. Cette approche trahit, en fait, la totale méconnaissance des multiples marchés, aux fonctionnements souvent spécifiques et différents, de ce secteur économique complexe, dans lequel se gère le rapport entre culture et économie. Méconnaissance dont font preuve, aussi bien les hommes d’affaires et industriels frileux que leurs vis-à-vis, parmi les artistes, leurs associations et les fonctionnaires qui voudraient intégrer les activités de ces derniers dans le circuit économique.
Je rappelle toutefois que l’idée d’intéresser les investisseurs sfaxiens au secteur des industries culturelles a été l’une des premières initiatives du Centre d’Etudes et de Documentation pour le Développent Culturel (CEDODEC), du Ministère de la Culture. Ce centre avait déjà organisé, le 22 Mai 1992, avec la collaboration de la Chambre de Commerce et de l’Industrie du Sud une journée d’étude consacrée au thème « Culture et entreprises : vers de nouveaux modes de financement et d’investissement ». (Réf. Le quotidien Le Renouveau, en date du 22/05/1992, page 15).
Le rapport de la production culturelle à l’économie de marché et le danger des approches idéalistes.
on 12 octobre 2018
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