Inaugurations à Sfax-Moulinville (1928)
Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que des rendez vous. (Paul Eluard)
Situés au centre ville, sur l’Avenue du 5 Août, les locaux que la nouvelle Ecole des Beaux-Arts héritait de L’Institut Supérieur de Formation des Maîtres, étaient, en fait, ceux d’une école primaire française de l’époque coloniale, jumelle d’une autre qui lui était juxtaposée.
Il y a, dans la vie, de ces hasards, qu’il faut savoir saisir, au passage, pour les transformer en moments agréables et enrichissants. Tout comme celui qui m’a mis entre les mains, après celles d’autres, ce document manuscrit, calligraphié de main de maître, à la plume, par le premier directeur de cette école primaire dont je venais d’hériter la responsabilité de la sauvegarde de ses archives. Ce qui n’a pas manqué de me réchauffer le cœur, en me faisant sentir que j’étais, en fait, le dernier locataire d’un lieu qui avait son histoire. Ce registre, sur cahier d’écolier, s’ouvre sur l’évocation de «la fête de l’inauguration du groupe scolaire de Sfax Moulinville » qui s’est déroulée, sur deux jours, le 30 Novembre et le 1er Décembre 1928. Y avaient assisté, cités dans l’ordre établi par l’auteur, « des personnalités telles que Le Colonel Caillou, commandant d’armes, Mr et Mme le Contrôleur Civil (Bertholle), le Caïd gouverneur de Sfax, Si Chedli, le Caïd de Djebéniana, Si Kaddour, Mr et Mme Jourdan, Inspecteur de l’Enseignement Primaire. (…)En soirée, dans l’une des salles de classe de l’école de filles, a lieu une petite sauterie, terminant de la plus agréable des façons, cette mémorable journée pour les élèves de Moulinville. » Des statiques nous sont données (sous forme de tableau). Ainsi, l’on apprend qu’en date du 30 Juin 1929, sur les 151 élèves que comptait le groupe scolaire avec ses deux écoles jumelles, il y avait 94 français dont 63 filles et 31 garçons, 31 israélites dont 20 filles et 11 garçons, 5 musulmans dont 4 filles et 1 garçon, 8 maltais dont 6 filles et 2 garçons et 13 italiens dont 10 filles et 3 garçons
Au fil des jours, des semaines et des années, ce journal de l’école finit par couvrir une période qui commence en 1928 et s’achève en 1941, par une information concernant un message adressé, par les élèves de l’école, au Maréchal Philippe Pétain (qui depuis le 16 Juin 1940 «préside», à 84 ans, aux destinées d’une France occupée), et auquel ce dernier avait répondu, en conseillant aux jeunes de cette école de Moulinville de « sauvegarder, en eux-mêmes, la fierté de se sentir français ! » En l’espace de près de 13 ans, que couvre le registre, on aura assisté, également, aux visites médicales du Docteur Larché qui n’a jamais, ou presque, rien signalé, à la différence du Docteur Younès qui est toujours là, pour traquer le trachome et la gale, y compris chez les petits français de Tunisie. Le journal signale, des visites, de personnalités importantes. Nous y apprenons que « le 28 Mai 1929, Mr et Mme Manceron visitent Sfax. Les élèves sont conduits sur le parcours du cortège et saluent le Résident » et que « le lundi 13 Avril 1931 à 2h30, les élèves des écoles de Sfax sont conduits sur le passage du Président de la République, Mr Gaston Doumergue et l’acclament ».
Le destin a voulu, également, que ce témoignage vivant sur la ville de Sfax des années trente auquel j’ai eu la chance d’accéder, soit enrichi par la visite, quelques mois plus tard, d’un groupe de personnes, relativement âgées, des anciens de l’école de Moulinville, qui m’ont ému par la joie évidente qui s’exprimait sur leur visages, transfigurés par la nostalgie, de retrouver, dans l’angle sud ouest de la cour, le ficus de leur enfance, que le passage du temps a rendu majestueux. Ils étaient conduits par un homme jeune et affable, qui m’avait offert sa carte sur laquelle était inscrit : « Gérard Ghariani, Président de l’Amicale des Sfaxiens du Monde
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] Le classement des élèves par « nationalité religieuse » n’est pas, en fait, conforme à l’esprit de la Circulaire du 15 Janvier 1907, de la Direction Générale de l’Enseignement sur la continuation, au jour le jour de l’Historique des Ecoles. Celle-ci recommande, le classement du nombre d’élèves, par nationalités. Or, comme on peut le remarquer, il est question de français, de maltais et d’italiens, quant aux tunisiens, ils sont classés par religion : israélites et musulmans. Cela permet de transformer le Protectorat en Colonie (on cite pas de nationalité tunisienne) et d’introduire une division malsaine entre tunisiens, sur la base de cette distinction religieuse communautariste et non conforme à l’éthique de l’école républicaine fondée par Jules Ferry (loi de 1882 proclamant l’école gratuite, laïque et obligatoire, complétée, plus de vingt ans plus tard, par la loi de Décembre 1905). D’autant plus que cette « école Cachat », (c’est ainsi que les sfaxiens la désignent, encore, aujourd’hui) est un établissement d’enseignement français et non pas franco-arabe.
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