A chacun l’Olivier qu’il mérite.
Contrairement aux apparences, cet arbre, à la forme presque sphérique, n’a pas un seul tronc. Il s’agit de deux oliviers distincts mais ayant des racines communes. Le plus vieux, à gauche, est centenaire. Il a été planté par mon grand père maternel dans ce jardin, dont les limites vues par satellites reproduisent quelque part le vieux cadastre romain de l’Antique Byzacène. Le second, à droite, est beaucoup plus jeune, une « kelfa » ou bien « radha’a » (pour les sfaxiens) et que l’on utilise comme souche après l’avoir coupée du bas du tronc de sa mère.
Une Khelfa est la progéniture à travers laquelle l’Arbre mère (en Arabe « arbre » est un nom féminin) va continuer à vivre et proliférer, non pas en se reproduisant par le biais du noyau de son fruit, mais en s’engendrant de nouveau dans un autre soi même, sans besoin de se scinder, comme pour la cellule. La scission ou la séparation c’est l’intervention de l’homme qui la rend possible. Elle ne relève pas de la Nature mais de l’AgriCulture.
Cette capacité de régénérescence par le biais de cette sorte de branche matricielle qu’est sa « Khelfa » qui caractérise l’Olivier explique aussi que cet arbre relativement modeste se retrouve quelquefois millénaire, autant que les géants comme le Cèdre du Liban (et du Maroc) qu’évoque Le Cantique des Cantiques.
En reconnaissant à l’Arbre sa féminité ainsi qu’au Soleil d’ailleurs, la langue arabe, Langue du Coran, soustrait l’arbre de sa symbolique « tutorale », par quoi les psychologues, d’expression française, placent la fonction du Père dans la formation de la personnalité de l’enfant. Du coup l’Olivier retrouve sa dimension matricielle d’Origine qui le (la) place comme signe de réconciliation et de paix avec la Divinité et dont la Colombe rapporte un rameau à Noé dans sa Barque, pour l’informer du retrait des eaux, après le Déluge. Cette symbolique biblique, sera enrichie plus tard par la sacralisation, par le Coran, de l’Olivier en tant qu’arbre dont l’essence universelle est Lumière. Celle de la Connaissance terrienne qui n’a plus rien à « voir » avec Celle de l’Arbre Serpent du Paradis dont la tentation nécessaire, inspirée par Satan, fait accéder les humains à leur condition de terriens, telle qu’elle s’effectue sur la planète terre, Royaume d’Adam, Le Rouge, créé par Dieu à son image et façonné par Lui dans la terre glaise d’ici bas.
Contrairement aux apparences, cet arbre, à la forme presque sphérique, ne tient pas sur un seul pied qui lui permettrait de servir de lien entre Le Ciel et La Terre en faisant remonter vers le haut, transformée en Sève, l’Eau divine qui rend la Terre féconde et porteuse de fruits. Ici, il (elle) en a deux, ailleurs il (elle) peut même en avoir plusieurs, mais rares sont les cas où tout en étant bipède, comme l’homme, il (elle) se présente sous cette forme globale régulière qui donne l’impression qu’elle est issue, soit d’un axe unique soit d’un point central vers lequel convergent tous les points de la sphère tronquée que forment ses branches, aux formes irrégulières et dont l’ensemble est pourtant harmonieux. Cela est d’autant plus remarquable que cette harmonie de l’ensemble n’est pas le résultat d’une « coupe » que l’on opère dans les extrémités des branches en transformant l’arbre vivant en sculpture aux formes géométriques figées.
Ce dont il s’agit ici c’est le résultat d’une activité de taille qui ne fait pas plier la Nature au Concept mais favorise l’émergence de ce qui était déjà contenu en puissance dans l’arbre, en composant avec l’Intelligence Suprême qui habite la Nature. Activité de « taille-composition » qui permet à mon Olivier de prendre cette forme humainement harmonieuse, par nécessité intérieur et non par obligation de se soumettre à un quelconque Dictat d’une Raison dominatrice qui l’obligerait à rentrer, malgré lui (elle), dans ses moules abstraits que sont ces cubes, pyramides et sphères de verdure des jardins à la Française.
Depuis La Révolution, je ne cesse d’observer chaque jour mon olivier bipède, en pensant aux discours à travers lesquels certaines idéologies réfléchissent l’avenir de notre pays, en termes d’ancrage unique, dans un passé au sens unique qui relate l’évolution fantasmée en vase clos d’une race unique qui parle une seule langue dans laquelle Allah l’Unique s’est adressé à La Meilleure des « nations ». Et je ne sais pourquoi je n’ai pu m’empêcher de considérer l’existence même de mon Olivier comme une preuve visible, différente des preuves audibles des théologiens, de la possibilité, pour un (une) arbre d’avoir une paternité particulière dont la pluralité réelle n’annule pas l’unicité implicite et dont la forme phallique de ses troncs ne peut être perçue comme telle qu’en étant générée d’abord par la matrice invisible de leurs racines communes.
Mon Olivier, c’est pour moi l’image même de la Umma Tunisienne qui, pour exister et s’épanouir, n’a pas besoin de tailleurs d’arbres à la Française (projecteurs de Raison sphérique, cubique ou pyramidale) pour évoluer harmonieusement dans son espace vitale et avec ses moyens propres. Elle n’a pas besoin non plus de tuteur unique qui serait garant de la pureté de sa race descendante. Car, il va de soi que lorsqu’on s’attache à s’identifier au Père, on ne peut qu’être descendant.
Personnellement je pense qu’il serait plus juste et plus vrai de dire que nous remontons tous de notre mère, Une et Multiple à la fois et que notre quête d’identité devrait nous propulser dans l’à venir, au lieu de nous laisser descendre d’un Paradis à jamais perdu, oubliant, au passage, de transformer l’Ici-Bas en équivalent symbolique de l’Origine de laquelle nous sommes irrémédiablement séparés.
Alors, il nous faut surtout pas nous laisser leurrer par les fausse promesses de ceux qui nous disent que ce n’est pas en nous libérant dans et par le travail créateur que nous allons réaliser notre Paradis sur Terre, et que c’est par l’Obéissance à la lettre aux prescriptions religieuses décrétés par les hommes de l’Institution que nous gagnerons Le Paradis d’Allah. Lequel, pour y croire vraiment, il faut en faire le deuil.
C’est qu’à la différence de la croyance en l’Au-delà, comme récompense aux plus soumis parmi nous et qui est donc une croyance peu désintéressée, la réalisation par les hommes de nature terrienne de leur Paradis symbolique, Ici et Maintenant, consisterait donc à être à la hauteur de la Confiance qu’Allah, Le Très Haut a placé en son Lieutenant Ici-Bas.
C’est donc seulement par l’activité créatrice que l’homme pourra accéder au « Royaume de Dieu » dont la porte est celle-là même que nous édifions pour nos jardins d’Ici-Bas. Aides toi et Le Ciel t’aidera, dit le bon sens populaire, traversé de cette foi d’inspiration divine à partir de laquelle le Coran déclare Ibrahim hanifan, authentique musulman.
Soyons donc les authentiques fils de nos mères, dignes des pères que nous nous devons de nous donner par le mérite, au lieu d’en être les héritiers descendant (sans s).
Kouda le 04.9.2011
Naceur Ben Cheikh
Une réponse
Didine Tissot
Un » sacré » beau texte, où la limpide harmonie de la nature, permet à l’homme éveillé de trouver sa propre lumière.
Quelle belle langue, que celle qui rend à l’arbre sa féminité originelle !
Quant à cet olivier majestueux, fier et humble tout à la fois, c’est un magnifique héritage, tant spirituel que tellurique …