La seconde observation consiste à rappeler une réalité, connue de tous et qui a trait au manque flagrant de maîtrise des langues vivantes les plus fréquemment utilisées, en Tunisie, dans les recherches en mastère et doctorat. L’évocation de la question n’est pas, ici, faite dans le cadre de ce constat habituel d’un phénomène connu et quasi généralisé, de par le monde, et qui se rapporte au peu d’intérêt qu’éprouvent les jeunes générations à l’usage traditionnellement correcte des langues ; en particulier, ceux, parmi eux, qui ont grandi dans la manipulation quotidienne des outils informatiques de communication.
Tel qu’il se pose dans ce cadre spécifique de la recherche, la langue n’est pas un « moyen de communication » dont on peut économiser les signes en les « ré-encodant », selon les besoins d’un groupe particulier, mais constitue un lieu et un outil de réflexion dont la logique qui le structure interfère directement dans son utilisation dans toute recherche. D’autres mieux outillés que moi, pour aborder cette question, sauront en dire plus et certainement l’expliquer, mais pour ma part, pour avoir encadré durant des années, des recherches en Mastère et en Doctorat, dans les disciplines proches des Sciences et Théories des Arts et du Design, j’ai pu constater que la maîtrise de l’Arabe ou du Français, par un doctorant, constitue un des atouts majeurs de sa réussite dans sa recherche.
Il ne s’agit pas, non plus, de la connaissance que l’on dit nécessaire, de sa langue d’origine, pour l’étude de la pensée d’un philosophe ou bien d’un théoricien de l’art, ou même d’un artiste ; ni de l’apprentissage, obligé, d’une langue telle que l’Anglais, pour accéder à des données bibliographiques, supposées plus actuelles.
Pour des domaines de recherche touchant aux sciences humaines tels que l’Esthétique, la Théorie des Arts de l’Espace et du Temps, les mots ont autant d’importance que les choses. Pour relater et faire voir la réalité, réputée ineffable, du produit de l’acte créateur, il est nécessaire d’opérer un travail de transformation sur les mots. Et comme le signale le précepte bouddhiste, dont j’ai déjà évoqué le rapport avec ma pratique picturale, « les mots, à eux seuls ne peuvent rien dire. Les choses à elles seules, ne peuvent rien dire non plus. Il faut couvrir les choses avec les mots et procéder au ponçage de ces derniers, afin que l’on puisse voir les choses à travers les mots rendus transparents ».
Il s’agit, comme on peut le constater, de couvrir, pour « dé-couvrir » ensuite. Car la réalité ne nous est accessible que médiatisée par la langue, qui est de nature opaque et qu’il faut rendre transparente par l’activité d’interprétation qui mène à la découverte, à laquelle aspire toute activité de recherche.
Dans ce cas, ce n’est pas seulement la réalité examinée qui est l’objet d’interprétation par le chercheur, mais également la langue elle-même dont on se sert, comme lieu et matière d’expression. L’on peut alors deviner qu’une recherche de qualité qui assure l’originalité de son produit nécessite un niveau élevé de maîtrise de la langue ; car tout le travail sera effectué dans la nuance, s’agissant d’une pensée complexe qui ne peut négliger le moindre détail, dans les plis duquel « le diable pourrait se cacher ».
En prenant en considération, l’importance que l’on pourrait accorder à la maîtrise de l’Arabe ou bien du Français dans l’effectuation d’une recherche universitaire et quel que soit le champ dans lequel celle-ci pourrait s’inscrire, il pourrait s’avérer nécessaire, dans le contexte d’une démarche qualité, de procéder à la programmation de l’enseignement de ces langues de recherche, comme matières transversales, aux côtés de l’Anglais et de l’Informatique. Ce qui ne va pas sans l’obligation, pour ceux qui vont avoir la charge de ces enseignements, de moduler le contenu de leurs cours, en fonction du champ de savoir et de recherche dans lequel ces cours vont s’inscrire.
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