Un ami sur Facebook m’a interpelé en commentant un statut dans lequel j’expliquais que l’Amour profond que Bourguiba éprouvait pour toutes les régions de Tunisie s’ancre dans son amour profond qu’il éprouvait pour sa ville natale.Tout comme son engagement pour la cause des femmes se fonde dans l’amour de sa mère dont tout jeune il avait observé les souffrances dues à sa condition de femme .L’ami m’a interpelé en me disant : « Soyons objectif, Bourguiba n’a-t-il pas dit aux Tunisiens : vous êtes des poussières d’individus ?. Et ceci est ma réponse.
Effectivement, soyons objectifs ! Est ce qu’on peut supposer qu’un homme politique quel qu’il soit se permette de dire à son peuple « vous n’êtes qu’une poussière d’individus » Cette idée de « poussière d’individus » est effectivement au centre de la pensée bourguibienne concernant l’effort qu’il estime avoir fait pour faire accéder les Tunisiens,durant la lutte de libération et la période de fondation de l’Etat tunisien moderne, au concept de nation (أمه). Et cette maturation qui permet au peuple tunisien de passer de l’état de « poussière d’individus » à celui de « nation »n’est pas étrangère à la pensée politique moderne qui a permis l’émergence de ce que l’on appelle les « Etats Nations ». Du point de vue philosophique, cela fait référence à un concept développé par Spinoza qui parle « d’individu isolé » pour désigner une certaine conscience fondée sur la séparation du Sujet de son Objet qui est à la base de ce que l’on appelle la philosophie du Sujet à caractère métaphysique et qui sera méthodiquement clarifiée et dépassée à partir de Nietzshe , Freud, Heideger en laissant place à la pensée philosophique contemporaine. Cette idée de nation à laquelle Bourguiba estime avoir fait accéder son peuple (le peuple auquel il appartient et dont il fait partie) pose des problèmes de définitions, en rapport avec la langue dans laquelle elle est exprimée. Bourguiba parle à la fois de « Umma » et de Nation, les deux différents de Peuple, constitué de tribus . (شعوبا و قبائل لتعارفوا) et (خير أمة) . Il faut donc penser dans la nuance et distinguer méthodiquement les notions de peuple, de tribus et de Umma , d’un côté et de Nation de l’autre. J’avais personnellement consacré un grand dossier, publié dans la Revue Dialogue, du temps où Hammadi Ben Hammad en était le Directeur, (Fin des années 70-débuts des années 80) consacré à cette question, intitulé « La Umma n’est pas la Nation ». Cela ne va pas sans le rappel des fondements intellectuels et politiques sur lesquels Bourguiba avait construit sa conception de départ de l’Etat Tunisien moderne qu’il ne considérait pas « laïque » mais « Musulman progressiste ». (voir vidéo interview de Bourguiba à un journaliste suisse). Lors d’un grand rassemblement à la Kasbah, Bourguibait faisait son discours (1957) en ayant comme arrière plan au fond de la tribune une grande banderole sur laquelle on peut lire, même de loin : le verset coranique : ( و أمرهم شورى بينهم). La première Assemblée Nationale de l’histoire de la République Tunisienne se déclinait en termes non pas seulement de Nation , produit de rapports contractuels entre les individus qui la composent, mais également en termes de communauté dont les membres sont liés entre eux par un sentiment de solidarité organique à fond spirituel. L’Assemblée Nationale ne s’appelait pas L’assemblée du Peuple (مجلس الشعب) mais s’appelait (مجلس الأمة). Dans ces conditions la république fondée par Bourguiba, au départ était à ses yeux le parachèvement d’un travail de conscientisation de longue haleine à partir duquel il faisait accéder le peuple tunisien, formé de tribus, (et avec lequel les autorités coloniales traitaient comme tel pour le maintenir divisé) au statut de » communauté politique musulmane progressiste » . Cette idée de « Majlis Al Umma, constitue en soi le témoignage d’une évolution de la pensée politique tunisienne moderne qui a eu lieu après la seconde guerre mondiale et l’éveil des peuples musulmans aux défis de la Modernité occidentale triomphante. Les Manifestants du 8 Avril 1938, revendiquaient un Parlement Tunisien, sous la houlette d’un parti « Constitutionnaliste » (revendication d’une Constitution et non pas conformité juridique à cette dernière). (برلمان تونسي و حزب حر دستوري). C’est à dire sans référence à l’Islam progressiste de Bourguiba, à partir duquel il s’opposera à l’Islam rétrograde et conservateur des Cheikh de la Zitouna. ( lire la lettre qu’il enverra à Salah Ben Youssef pour le mettre en garde contre le rapprochement tactique avec ces derniers) (1). Mais la majorité des cadres politiques qui l’entourait n’étant pas outillés intellectuellement pour comprendre cette référence double et à la Umma et à la Nation (sauf une minorité dont Chedli Klibi et Mahmoud Mestiri, à ma connaissance), Bourguiba a fini par composer en laissant faire les laïcs , toutes idéologies confondues) qui ont abandonné le terrain « religieux » aux cheikhs prêcheurs dont le discours moralisant et soit disant modéré, n’est pas de nature à lutter efficacement contre l’Islamisme violent et rétrograde et cheval de Troie de l’impérialisme et du néocolonialisme.
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(1)
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