Assistance technique
et partenariat culturel
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Gérard Moschini, peintre, animateur d’atelier et sculpteur remarquable, était venu en mission en Tunisie, dans le cadre d’un programme de l’Institut Français de Coopération, en cours d’exécution depuis quelques années déjà, destiné à une sorte de mise à niveau de l’enseignement des arts plastiques en Tunisie. Cela couvrait autant l’enseignement de l’art dans les établissements d’enseignement secondaire que celui dispensé à l’Institut d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, qui était, jusqu’à la création de l’Ecole des Beaux-Arts de Sfax, l’unique institution d’enseignement de l’art à un niveau universitaire.
C’est ce qui explique la visite effectuée, en ce début de seconde année de son existence à l’Ecole de Sfax, par un responsable de l’Institut Français de Coopération, sis au 87, Avenue de la Liberté à Tunis, accompagné de Gérard Moschini qu’il semblait bien connaître ; le diplomate se présentant, également, comme plasticien. Quant à sa couleur politique et donc, idéologique, elle se laissait deviner à travers un activisme paternaliste qui frisait le recours au droit d’ingérence culturelle. Attitude qui contrastait avec celle que j’ai eu à apprécier auprès d’un monsieur d’un certain âge, responsable du Relais Culturel Français de Sfax et qui pour diplomate qu’il était, n’affichait pas moins un point de vue réputé de droite. Cela ne manquait pas de cohérence, en ces années de cohabitation à la française.
Ces observations qui semblent ne pas tenir compte de l’obligation de réserve à laquelle je me dois d’être astreint, en tant que fonctionnaire, s’expliquent, par le fait que j’ai toujours considéré que la coopération culturelle n’est pas la coopération technique et que les échanges culturels se doivent d’être placés au-delà des rapports balisés par l’étiquette diplomatique.
La mise à niveau de la création plastique en Tunisie ne peut être l’objet d’un programme de coopération technique, sans qu’au préalable, on ait défini clairement la nature du partenariat culturel, sur la base duquel, ce programme pourrait être réalisé. Le caractère spécifique de l’activité culturelle, surtout lorsque cette dernière se rapporte à la création et non pas à l’industrie culturelle, oblige les différents acteurs de cette coopération à considérer leurs relations dans le cadre d’un véritable échange, libre et fondé sur l’estime dans laquelle chacun des partenaires se doit de tenir l’identité irréductible de l’autre.
Et au cas où l’on prendrait la coopération culturelle pour de la coopération technique, il est peu probable que l’on aboutisse à un résultat meilleur que celui obtenu, après les soixante quinze ans de « mise à niveau » civilisatrice, qu’aura duré la période de notre histoire nationale, située entre 1881 et 1956.
Il n’est pas question, ici, comme on pourrait être tenté de le croire, d’attitude réactionnelle qui consisterait à mal évaluer le bilan de la colonisation, en jugeant cette dernière, à partir d’un point de vue moral et donc métaphysique. Ce qui, d’ailleurs, sera de nature à donner mauvaise conscience aux uns et à faire naître du ressentiment, dans le cœur des autres. L’on sait, à ce sujet, qu’une action entreprise sous l’emprise du sentiment de culpabilité mène, souvent, sans que l’on s’en rende compte, à la récidive, bien au-delà de l’expression tranquillisante du repentir. Et qu’une action, entreprise sous l’emprise du ressentiment, ne peut que confirmer le traumatisme de celui qui en souffre.
Si j’ai tenu à formuler ces précisions, c’est aussi pour dire que cette visite, effectuée par les représentants de la Mission culturelle et technique française en Tunisie, à la nouvelle école, s’inscrivait dans le cadre de l’extension, à cette dernière, de ce programme d’assistance technique en vue d’améliorer la qualité de l’enseignent de l’art en Tunisie. Cela se présentait sous forme de stages de recyclage et de formation continue que les français organisaient, en France, pour les enseignants d’Arts Plastiques des établissements du secondaire. Pour le cycle supérieur, cela consistait à attribuer un certain nombre de bourses de voyages d’études et de perfectionnement, auprès de leurs collègues français, à des enseignants tunisiens du supérieur. L’attribution de ces bourses, n’avait pas manqué, par ailleurs, de soulever un certain nombre de problèmes se rapportant à des situations provoquées par l’ingérence des donateurs, dans la désignation des enseignants tunisiens bénéficiaires.
Ce programme d’assistance comportait, également, un certain nombre d’interventions ponctuelles, dans les écoles d’art de Tunisie, au niveau des enseignements de troisième cycle, d’enseignants universitaires français choisis par les tunisiens[1] et dont le déplacement en Tunisie est pris en charge par ce programme d’assistance, les frais de séjour, leur étant payés par la partie tunisienne.
Cette digression était nécessaire à la poursuite de cette évocation de la visite à Sfax, en ce début d’Octobre 1996, de l’artiste français Gérard Moschini, dont l’exposition inaugurale, à la nouvelle école des Beaux-Arts, quelques mois plus tard, fera date. Tout cela pour dire que si l’intervention remarquée de cet artiste français contemporain dans la réalité tunisienne, à partir de Sfax, a été profitable pour tous, c’est aussi parce que mes collègues enseignants et moi-même avions trouvé, en Gérard Moschini, un partenaire de choix, avec lequel nous avions créé ensemble un véritable événement, qui se situe largement, au-delà du cadre, de la coopération culturelle et technique.
C’est que, profitant de l’occasion de cette visite des représentants de la Mission culturelle française en Tunisie à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sfax[2] et surtout de la présence de Moschini, j’ai pu saisir cette nouvelle chance qui s’offrait à nous, pour donner, en tant que Tunisien, le sens que j’avais, toujours souhaité à la coopération culturelle, entre mon pays et la France ; à laquelle nous lie une histoire commune et une langue française que j’éprouve toujours du plaisir à utiliser.
C’était le moment de démarrage, en même temps, et de cette deuxième année d’existence de notre institut et du chantier d’aménagement de la salle d’exposition, qui était prévu depuis juin dernier. Moschini m’avait, alors proposé de profiter de son inauguration pour y organiser un « événement » artistique dont la signification symbolique, m’avait convaincu de la pertinence. Il s’agissait d’une exposition qui comporterait, à côté de ses œuvres connues, d’autres travaux qu’il aura réalisés à son retour de Tunisie et qui porteront la marque de son passage à Sfax. Était discrètement invoqué, en référence, le précédent de l’heure propice et de l’heureuse rencontre entre un artiste européen et la terre de Tunisie, que Paul Klee avait vécue à Kairouan. Particulièrement en ce moment où nous étions entrain d’admirer le paysage nocturne de cette ville devenue attachante et mystérieuse, réunis sur la terrasse de cette belle demeure dans laquelle mon ami Khalil Aloulou, artiste peintre de son état et enseignant aux Beaux-Arts, avait élu domicile depuis qu’il l’avait acquise, au début des années soixante. Un Borj authentique qui, parait-il, aurait servi de lieu de réunions aux résistants du parti Destour. Son propriétaire, à cette époque héroïque, se nommait Hédi Chaker, grand martyr de la lutte de libération nationale.
Il est vrai qu’à moi aussi, cette ville m’a semblé fascinante, par son espace urbain imprécis, imprévisible et donnant, comme les grandes œuvres d’art, cette impression d’inachevé, par lequel l’artiste reconnaît ses limites et s’apprête à accueillir sa part de divin.
Ce soir là, Moschini nous a paru, à tous, fortement inspiré et son regard déjà porteur des œuvres qu’il réalisera en se remémorant ces heures éphémères d’éternité, vécues, une « Nuit d’Octobre » à Sfax, en Tunisie.
Mais mon adhésion au projet de notre hôte, avait aussi d’autres raisons. Celles-ci se rapportaient au fait qu’il a été convenu entre nous que les œuvres qui seront réalisées en France seront exposées, pour la première fois, à Sfax, ensuite, à Tunis et enfin, en France.
C’était donc, pour la première fois qu’on allait inverser le sens de la circulation des expositions itinérantes. Cela venait de Paris, de Rome, de Berlin, de Pékin ou d’ailleurs, passait par Tunis et continuait, rarement jusqu’à Sfax, Sousse ou Kairouan. Le fait que cette exposition dont le point de départ prétexte était un séjour de l’artiste à Sfax, devrait être organisée pour être vue, d’abord, par les étudiants et les habitants de cette ville de l’intérieur de la Tunisie était, pour le moins, révolutionnaire ! Et çà l’était, dans la mesure où cela permettait de faire tourner le sens des choses. En plus du fait que c’est la première fois qu’il n’est plus question d’exposition d’œuvres achevées et souvent déjà consacrées par l’histoire de l’art ou par son marché, mais plutôt de la production d’une exposition (comme on parle de la production d’un film).
L’idée avait tellement plu, que les autorités, aussi bien tunisiennes que françaises, avaient accepté d’y être associées et ce, au plus haut niveau de la hiérarchie administrative. Ainsi, il a été convenu que la galerie et l’exposition allaient être inaugurées en présence du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de l’Ambassadeur de France à Tunis.
Du coup, l’affaire avait pris, aux yeux des autorités universitaires locales, une dimension politique, au sens commun du terme, et la construction de la galerie et surtout son inauguration sont devenues, pour certaines personnes auxquelles l’évolution des évènements ne plaisait guère, un enjeu d’importance.
[1] On remarquera que pour le choix des enseignants français, l’opération s’effectue à travers une entente préalable entre les universités des deux pays, les responsables de l’application du programme de « coopération assistance » qui relève de la responsabilité du Département (français) des Affaires Etrangères, ne pouvant se permettre de faire de l’ingérence dans les « affaires » qui relèvent des universités françaises. Dans ce cas, la souveraineté, qui va de soi, des universités tunisiennes dans le choix des invités dont elles estiment en avoir besoin, est garantie, en fait, par l’autonomie dont bénéficient, les universités françaises.
[2] En 1995, l’Institut Technologique, d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, est scindé en deux institutions universitaires, l’Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme, sise actuellement, à Sidi Bou – Saïd et l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Tunis qui a hérité des locaux de l’ITAAUT. D’où l’on peut comprendre les raisons de l’appellation « Ecole » de celle créée au même moment à Sfax. Durant l’année 95-96, l’on avait observé l’inadéquation de ce retour à l’ancienne appellation « Ecole des Beaux-Arts » avec le statut universitaire des deux institutions en revenant à l’appellation d’ « Institut ».
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