Ceci est l’une de plusieurs nouvelles que j’ai écrites, au hasard des besoins, de dernière minute, celui de remplir un espace de journal, resté vide par manque de matière journalistique. D’autres ont recours aux ciseaux, comme on dit , en reprenant des articles, déjà publiés, sous d’autres cieux. Après avoir livré au Secrétaire de rédaction , l’Editorial dont je suis redevable, ce dernier m’informait des espaces vides encore disponibles et je me mettais à rédiger du texte, en vue de le remplir, souvent à 9 heures ou 10 heures du soir, à peine une heure avant la clôture . Un quotidien est un drôle d’animal : Tu l’achèves, le soir et le lendemain il est de nouveau en vie. C’est écrit d’une seule traite, juste le temps de coucher le texte sur papier de le donner à la saisie, de donner l’épreuve imprimée aux correcteurs.
Comme on peut le remarquer parfois je profitais de l’aubaine, pour illustrer le texte en y ajoutant un dessin griffonné à même le marbre , comme celui des oliviers qui se transformaient le soir en fantômes.
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La maison de mon enfance est une demeure paysanne. Elle se trouve au bout du village, à la limite de la Forêt. Je ne sais pas et je n’ai jamais cherché à savoir quand est-ce qu’elle a poussé sur le bord poudreux de cette ancienne piste qui l’attache au village comme par un cordon ombilical. Située à la lisière de l’oliveraie, elle en fait également partie et en annonce le mystère.
La maison de mon enfance participe de ces lieux de passage qu’on ne peut délimiter sans la réduire en un vulgaire terrain vague. Elle est à la fois un point de départ et un point d’arrivée.. Un repère sûr. celui qui marque le commencement du jour et la tombée de la nuit. Deux promesses dont l’alternance ponctue la vie des habitants de mon village . Au départ , l’espoir d’une bonne récolte et au retour, celui de la quiétude nécessaire au repos bien mérité.
Le soir, c’était la veillée à la lumière d’une lampe à pétrole . Pourtant cela faisait longtemps que le village était équipé d’électricité. Mais comme la maison de mon enfance faisait partie de cet espace des limites , il a fallu attendre plusieurs années,après l’Indépendance , pour bénéficier à son tour, de ce grand attribut de la modernité.
Aujourd’hui, quand j’y pense, je me dis parfois que les choses se sont , après tout bien passées. Qu’en serait-il advenu de mon histoire, si, par accident, l’électricité était venue faire la lumière sur le monde de mon enfance ? Le condamnant à sortir, avant terme, de la pénombre, cette clarté en puissance, riche en nuances qui a la qualité de ne point aveugler celui qui serait tenté d’en sonder les profondeurs. Mais qui avait donc dit que le gris était couleur de mort et que pour comprendre plus les choses de la vie, il faut les exposer à la lumière de l’esprit ? D’autant plus que les seuls esprits que je connaisse ce sont ceux qui hantaient la forêt.Et ceux-là ne se montraient que tard, le soir. Le lyrisme populaire n’associe-il pas l’œil à ,la nuit ?
C’était aux débuts des années cinquante. Un moment de passage, lui aussi. La liberté en puissance secouait le destin de notre peuple qui tenait tête à la puissance spectaculaire de l’Empire.
Un jour , mon père acheta une lampe à pétrole plus élaborée dont la lumière blanche était de loin plus forte que celle de la moyenne des lampes électriques. C’était le signe du changement . A notre tour nous sortions de la pénombre et accédions irrémédiablement à la clarté du jour. Cela nous a permis, en plus de pouvoir réviser ,mon frère et moi , nos leçons sans trop nous fatiguer les yeux, à veiller, l’été, quand il faisait beau, à la belle étoile. Découvrant, par la même, la profondeur de la nuit, dont le noir manteau enveloppait le monde à l’infini.
Mais il n’était pas toujours possible, pour nous de veiller dehors. Même par ciel dégagé. C’était le jour où les autorités coloniales décrétaient le couvre-feu dans toute la région. Je m’en souviens comme si c’était hier. Ce jour-là , je savais que je devais me dépêcher de rentrer à la maison après avoir acheté du pétrole à l’épicier le plus proche . Il fallait que je rentre avant la tombée de la nuit. En faisant attention aux phares des véhicules militaires qui ne tardaient pas à balayer de leur lumière fouineuse les bords de la grand-route. Celle qui rattachait le village à la ville et que j’empruntais pour me rendre chaque jour à l’école et plus tard , au lycée. Des fois, pris de court, je me voyais contraint de regagner la maison par le chemin des oliviers. Ces vieux oliviers, aux troncs noueux dataient, parait-il de plusieurs siècles et servaient d’abri aux oiseaux de proie qui ne sortaient que de nuit. Des histoires que se racontent les enfants du village disent qu’ils seraient même hantés Peut-être , à cause du fait que chaque soir, bénéficiant de la complicité du noir, ces vieux oliviers se transformaient en fantômes.
Plus tard, notre maison devint le centre d’un quartier résidentiel. Comme si ne fournissant pas assez d’efforts pour aller chercher les lumières de la ville, celles-ci sont venues la chercher. . Cela ne peut se faire sans le recul obligé de la forêt. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques oliviers, aux troncs noueux, coincés entre deux murs et dont certains ont eu la chance d’être préservés du déracinement .Grace aux sentiment nostalgique de quelques uns qui ont bien voulu les intégrer, à l’espace vert de leurs villas.Comme objets de décor.
Les lumières de la ville nous ont rattrapés, après que mon père eut décidé de brancher notre maison au réseau d’électricité que le gouvernement venait d’étendre aux coins le plus reculés de la forêt d’oliviers..
Du coup, mon père rangea la lampe à pétrole (Made in Sweden), au fond de la chambre, derrière les grosses jarres que ma grand mère remplissait d’huile, chaque année, après la saison de la cueillette des olives. Et qui, à présent,, tout comme la lampe à pétrole , ne servaient plus à rien. Témoins muets d’une époque à jamais révolue.
Mais voilà qu’un jour, un de mes cousins qui habitait de l’autre côté de la forêt est venu nous demander de lui prêter notre « Primus » de lampe , pour s’en servir, durant la cérémonie de son mariage . Il nous la rendit quelques jours plus tard. Mais avec une pièce en moins. C’était le bouchon à vis, nécessaire à la décompression de l’air à l’intérieur du ventre luisant de cette lanterne magique et dont la disparition condamnait la pauvre lampe à une mort certaine. J’ai eu l’impression que sa participation au mariage à l’autre bout de la forêt état son champ du cygne , la fête d’adieu que les hasards de l’existence lui avaient accordée, avant de l’envoyer à la ferraille.
Mon histoire, avec mes vieux oliviers, ma mystérieuse forêt , la maison de mon enfance et ma lampe à pétrole qui m’avait fait découvrir la beauté de la nuit, allait se terminer là. N’était un curieux hasard dont le sens m’avait beaucoup impressionné que j’en garde, jusqu’à ce jour un souvenir vivace, comme une sorte de tatouage qui aurait marqué ma mémoire à jamais. Un soir pendant que j’étais entrain de suivre un programme télévisé, mon père, en rentrant , me tendit une pièce métallique, toute luisante et me dit : « Vois à quoi pourrait servir cette chose. Tout à l’heure , au village j’ai rencontre mon ami Salem que je n’ai pas eu l’occasion de voir depuis des années.Il continue, comme tu sais, à cultiver son jardin, de l’autre côté de l’oliveraie.. Ce matin ,en prenant le bus , pour venir au village, il avait ramassé, par terre cet objet étrange Et comme il savait que tu t’y connaissais un peu en mécanique, il ,m’a chargé de te le donner.
Je n’en revenais pas. C’était le bouchon à vis que ma pauvre vieille lampe avait perdu, au retour du mariage . Comme si les oliviers,, la piste poudreuse, et les esprits qui les hantaient , s’étaient entendus, pour la ramener à la vie.
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