Pour la mémoire d’un geste affranchi . ( Lecture de l’œuvre d’Amina Saoudi) Par ASMA GHILOUFI

with Aucun commentaire
KODAK Digital Still Camera
______________________________________________

Nous sommes les témoins d’une ère où les arts, notamment visuels, vivent dans leur officialisation ainsi que dans leur vulgarisation une remise en forme et en question à l’image de la frénésie des technologies de l’information. Parmi les praticiens de ces arts, il y a ceux qui vivent par la soumission de leurs aptitudes aux lois de la transmission institutionnelle des savoir-faire, adaptant leur expression à un mouvement en vigueur dans lequel une inscription formelle est toujours et encore considérée comme un premier pilier de reconnaissance. Il y a, par ailleurs, ceux dont la pratique de l’art naît hors champs formel de culture, prend de l’ampleur et se bonifie par une force intérieure de l’ordre du génie, qui atteste qu’on ne devient pas artiste, mais qu’on découvre tout à coup qu’on l’est depuis toujours (Yves Klein). Il s’agit là de ce qui devient visible et efficient, à une échelle relativement considérable, pour la critique universelle, malgré la spontanéité du projet de création, son aisance et son accomplissement par une autodidaxie libre et libératrice.Amina Saoudi est, pour ce fait de l’actualité artistique, un argument, une preuve.De facture traditionnelle avérée, l’art d’Amina Saoudi est toutefois doté de la contemporanéité de ceux qui négocient en douceur avec une réalité à laquelle ils ne s’opposent pas de manière frontale (Elisabeth Wetterwald). C’est, en effet, un art dont elle a hérité les premières mesures, aussi bien spirituelles que techniques, de sa mère, à Casablanca, sa ville natale.

Installée en Tunisie depuis les années 1980, Amina Saoudi se livre à cet héritage qu’elle exalte par une expérimentation où l’œuvre s’y révèle, au fur et à mesure du temps et de la maitrise, comme l’essence renouvelable d’une exploration poétique à l’image de sa rigueur et de son dévouement insigne.

L’œuvre d’Amina Saoudi est d’une telle harmonie substantielle que l’élan d’innovation qui la mûrit n’est point de l’ordre du perfectionnement technique mais plutôt d’une reprise matérielle continue d’un patrimoine maghrébin familier. Amina Saoudi, peint sur de la soie (technique de la gutta) et tisse les fils de laine (tapisserie grand format) avec la même improvisation qui préserve sa spontanéité à un acte de création porté par un élan de transgression, impliquant le possible dans sa matérialité la plus modeste et le quotidien par ce qu’il englobe comme présences et renouvellement.

Amina Saoudi expérimente l’art comme on expérimenterait la vie, en composant son expression avec une élémentarité évolutive, tributaire des moyens physiques de faisabilité et de ce que lui offre son imaginaire instantané comme choix de représentativité plastique. Son art est de cela sa réalité. Il est morphologiquement sujet à l’histoire de son lieu de vie, à sa manière de l’habiter, à son projet intime d’en apprivoiser le chaos intérieur et à sa résolution innée de le sublimer par la rigueur et l’humilité.

C’est, d’ailleurs, avec ses fils et contre son métier à tisser qu’elle se crée un rituel d’auto construction qui signifie, dans sa continuité et dans sa tenue, une plénitude d’esprit affranchie des renaissances symboliques et des vaines terminaisons ; pour le compte d’un art qui rend la vie plus intéressante que l’Art (Robert Filliou).

Asma Ghiloufi, 2024.

 

Répondre