Amina Saoudi : de la peinture sur soie au tissage artistique contemporains

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On ne peut parler de peinture, de sculpture, de tissage, de gravure et de dessin, sans les considérer d’abord en tant que différentes manières d’organiser l’espace, sous ses différentes dimensions, en vue de produire du sens et non comme dessein d’un sens déjà donné et que l’artiste va représenter. Et Le sens à produire n’est pas la signification des mots et des choses mais le produit de l’exercice de nos sens dans l’acte fondateur qui nous fait habiter le monde en tant qu’énigme et non en tant qu’objet déjà  signifié. Cette posture a permis, aux philosophes du XXème siècle de puiser dans les arts plastiques, en tant que mode de penser spécifique, les moyens de developper une philosophie concrète que l’on qualifiera d’existentialiste. Les chaussures de Van Gogh, pour Heidegger, et la montagne Sainte Victoire de Cézanne, pour Merleau-Ponty, en sont des exemples édifiants. Toutes ces considérations, quelque peu théoriques, je les fais en préambule à une présentation, que j’espère passante, du travail de Amina Saoudi Aït Khay

Pour commencer je dirai que Amina est le produit de son ouvrage et qu’en tant qu’artiste, elle est venue au monde de l’Art sans préavis et sans l’avoir cherché. C’est ce qui expliquerait, peut-être le caractère inédit de son entreprise, voulue, au départ, modeste et sans pré-tension. Cela ne veut pas dire que l’on pourrait s’autoriser à la classer, formalisme oblige, comme étant une nouvelle Baya, l’algérienne, ou une nouvelle Chaâïbia, la marocaine, toutes deux, comme elle, ancrées dans leur maghrébinité irréductible. Mais à la différence de Amina, elles  doivent leur accès à la reconnaissance, au regard valorisant d’une vision particularisante non dénuée d’exotisme réducteur. Car, ce qui distingue le processus de reconnaissance, à l’échelle internationale, de l’oeuvre de Amina Saoudi Aït Khay, c’est le fait que ce processus a commencé, en Tunisie. Et ce, grâce au choix lucide et risqué, opéré par Lina Lazaar, qui lui avait organisée une grande exposition, avec comme invitées, trois artistes femmes, déjà connues au niveau du marché de l’Art contemporain.Le succès avéré de cette exposition a permis à son organisatrice de déclarer Amina Saoudi Aït Khay « découverte de l’Année 2022 de la Fondation Kamel Lazaar ». Ce qui a permis à  son oeuvre de figurer dans la grande collection de cette Fondation  basée à Tunis, et dans celle de la Fondation Barjeel de Sultan Saoud El Qassami, de L’Emirat Arabe de Sharja.

Cette première grande exposition a été relayée, la même année, par une autre, organisée par la Galerie Selma Fériani de Londres qui lui a consacrée une exposition personnelle à la foire d’Art Contemporain, Abou Dabi Art et de faire figurer, à l’occasion, les oeuvres de Amina Saudi Aït Khay  dans les collections du Gugenheim Museum et dans plusieurs collections privées du Moyen Orient Arabe. Et tout cela, après avoir accédé, au départ, aux collections du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Tunis et à celle d’une grande Banque de la place, uniquement par sa participation aux expositions collectives organisées, en Tunisie, par les institutions officielles.

  Pour être plus explicite, rappelons, par ailleurs, que le mode de reconnaissance, à ce jour dominant, fonctionne, à partir de considérations d’essence hégémonique qui obligent les artistes de la Périphérie à se conformer aux critères d’évaluation du Centre, pour emprunter à l’égyptien Samir Amin ces deux  notions de Centre et de Périphérie, se rapportant au champ des sciences économiques. C’est que, pour spécifique qu’elle est, l’économie du marché de l’Art Contemporain, appartient plus, aujourd’hui, au champ de l’économie marchande qu’à celui de l’économie de l’Art, au mode de production très spécifique d’objets symboliques, de valeur réputée « inestimable ».

Rappelons, également, que le marché de l’Art en Occident, depuis l’émergence, en France, des Impressionnistes, à partir des années 70 du XIXème siècle, avait fonctionné, jusqu’à ces dernières décennies, comme promoteur de valeurs artistiques constamment renouvelées. Et ce, par l’enrichissement, par le négoce de l’Art, du corpus de l’Art Moderne, en promouvant une production d’artistes dont la plus-value esthétique de leurs oeuvres, était à l’origine  de leur valeur d’échange. Ce qui  permettait leur transformation en objet de négoce et de spéculation « positive ». Cette dernière fonctionnant à contrario de la spéculation financière abstraite, dont l’aspect volatile et « éthéré » de l’Art Contemporain qu’elle promeut est à l’origine de sa rupture avec l’économie réelle du champ artistique.

C’était là une mise au point qui pourrait mieux préciser le contexte dans lequel l’oeuvre de Amina Saoudi Aït Khay a accédé à sa socialisation valorisante, sans trop subir les effets de mode et de tendances qui obligent  les artistes à faire de l’Art Contemporain, programmé comme tel, par un marché de l’Art qui s’est institué lui-même créateur de valeurs esthétiques dont les oeuvres promues, doivent, pour y faire sens, s’inscrire dans leurs limites préétablies. Cette réalité nouvelle est, en fait le résultat d’une véritable inversion des rôles, au sein du processus de « création-socialisation » de l’oeuvre d’Art, qui consiste à sacrifier la valeur symbolique « d’usage » au profit de sa valeur monétaire d’échange.

Mais l’on sait que la fonction symbolique d’usage, gratifie, l’oeuvre d’Art d’une valeur spiritualisante, réputée « inestimable », c’est-à dire sans prix ( prix exceptionnellement élevé). L’attribution d’une « valeur esthétique », à une oeuvre  qui se situe au-delà de toute estimation, est paradoxalement conditionnée, en amont, par l’intention (in-tention) radicalement désintéressée » de l’artiste qui en est l’auteur, fût-il portraitiste de roi. C’est ce qui explique que les peintures qui se vendent le plus cher, dans le marché des oeuvres consacrées par l’histoire de l’Art, sont celles qui, au moment de leur réalisation, n’étaient pas l’objet d’une commande, ni d’une « offre », correspondant à une « demande », en termes de marché.

    D’où l’on comprend le caractère, prétendu paradigmatique,  de l’avènement, non pas du marché de l’Art, mais du marché de l’Art Contemporain, fondé sur une inversion du processus de création artistique. Inversion à partir de laquelle on sacrifie les moyens aux profits des fins et la valeur d’usage à la valeur d’échange. Ainsi, l’on peut dire qu’il s’agirait, en fait, d’une prise de pouvoir, par le marché, sur le processus de production des oeuvres d’Art dont la conséquence visible est l’apparition d’un intervenant nouveau dans les rouages de ce marché qui a pour fonction « curator » (curateur en Français et curatrice au féminin). Appellation à la signification vague et d’origine ancienne (latin), curateur signifie en droit « personne qui est désignée par le juge de tutelle pour assister une personne majeure incapable » dit le Robert, sans donner d’exemple. Au niveau du marché de l’art contemporain il s’agirait, en toute vraisemblance, d’une personne, supposée connaître le milieu artistique et capable de sélectionner, parmi les artistes, ceux dont les oeuvres pourraient figurer dans une exposition de groupe ou auxquels on consacre une exposition personnelle et capable aussi d’écrire un texte présentant leur production au public.

Ainsi donc, on assiste à la fin d’une époque où la promotion, au sein du marché, de nouvelles valeurs artistiques, s’effectuait par leur reconnaissance par la critique, les jurys des différentes grandes expositions (biennales ou autres et les « galeristes entrepreneurs » (définition de Raymonde Moulin). A la base de toutes ces portes d’accès à la reconnaissance par le mérite, il y avait, au départ, l’innovation, décelée par la critique ou par les jurys des grandes manifestations internationales, innovation dont seuls les artistes sont les véritables auteurs. Il semblerait donc  que la vocation marchande du marché de l’Art Contemporain serait à l’origine de l’abandon de la vocation culturelle première du marché de l’Art, qui le faisait fonctionner sur  un mode  qualitativement différent de celui de l’économie de marché. Et l’on comprend alors le rôle de cette fonction d’ « assistant » dont est chargé le curator. Celle-ci ne répond pas, en fait, à la promotion des valeurs nouvelles créées par des artistes novateurs, mais de faire produire, pour le compte du marchand, des valeurs marchandes dites artistiques, quitte à détourner le sens d’origine des oeuvres promues, pour les faire correspondre aux différentes modes et tendances initiées par le marché. Son discours ne relève plus de la critique ni de l’esthétique ou de l’histoire de l’Art mais de la communication. Tout comme les organes de presse audiovisuelle qui n’informent plus et sont chargés, désormais, par leurs propriétaires, du conditionnement de l’opinion publique et au sein desquels, le journaliste d’opinion libre a été remplacé par les chroniqueurs. L’échange réfléchie entre un journaliste professionnel et son invité va désormais se faire sous forme de « question » (au singulier) inquisitoriale des tribunaux religieux.

Dans le domaine de l’information artistique, le rôle traditionnel des revues spécialisées supportées par les différentes branches du marché de l’art, et dans lesquels le narratif de promotion de l’Art était souvent de nature analytique réflexive, élaboré par des critiques hautement spécialisés et auteurs de livres traitant de l’Art Moderne qui leur est contemporain et de son évolution, ce rôle est maintenant dévolu aux curators. Ces derniers, rarement spécialisés en Art ou véritable connaisseurs de son histoire vont produire un discours de communication dont la vocation n’est plus informative ou analytique, mais à caractère de promotion publicitaire où le produit artistique disparait sous l’image fabulée à partir de laquelle le jeu de mots séduisant et faussement réflexif vient couvrir l’oeuvre et la rendre invisible dans sa propre réalité irréductible. Dans cet ordre nouveau international marchand, la mise au pas de la création artistique libre de nature fondamentalement critique  à l’égard  des idéologies, se traduirait par l’instauration d’une rupture paradigmatique entre l’Art Moderne et l’Art Contemporain.

Cette digression que certains trouveront peut-être longue, était  nécessaire pour dire pourquoi et comment l’oeuvre de Amina Saoudi Aït Khay ne relève pas de l’Art Contemporain, même si sa réalisation effective a commencé  aux  débuts du XXIème siècle et sa promotion à l’échelle internationale  s’est effectuée dans le cadre de son inscription dans la catégorie d’Art contemporain périphérique, relativement dégagé de l’hégémonie du Centre, pour des raisons économiques évidentes. Le Centre, du moins en France, étant dominé par les grands collectionneurs spéculateurs dont Bernard Arnault et François Pinault.

La qualification de « périphérique » adjointe à l’appellation d’Art Contemporain, est destinée, dans ce contexte, non pas à dévaluer l’Art contemporain produit par les artistes de nos contrées, (du Maroc aux Emirats), par rapport à l’Art produit par les artistes  du Centre (Londres, Paris, Milan,Venise, Barcelone et Berlin) mais renvoie, dans ce contexte, à une distinction culturelle, géographique et économique entre les réalités objectivement irréductibles de deux pôles différents, liés entre eux par des rapports d’échange d’enrichissement réciproque. Les cultures, s’échangent et s’enrichissent les unes les autres et peuvent donc s’exporter dans le cadre de cet échange enrichissant, mais ne peuvent en aucun cas, être importées . On ne peut s’incruster dans le Centre, en l’important chez soi, à coups de milliards de Dollars ou d’Euros, sans renoncer, de fait, à la participation à l’Histoire en devenant son consommateur. Contrairement aux apparences, c’est la production et l’entretien novateur des valeurs culturelles symboliques à caractère éthique et spirituel qui font participer les différents  peuples à l’Histoire. La technique artistique, n’est pas la technique, au sens générale dont Heidegger lie le destin à celui de la Métaphysique. Etant liée aux valeurs culturelles contingentes, toujours spécifiques et particulières tout en étant infra-historiques, la technique artistique ne peut  donc s’importer et se reproduire ailleurs que dans son milieu d’élaboration initiale. La technique artistique n’est pas un ensemble connu d’outils d’expression que l’on acquiert au cours d’une formation, dans un atelier de maître ou dans une école d’Art. La formation quel qu’en soit le niveau, doit être considérée comme une introduction, destinée à être obligatoirement oubliée, comme pour l’apprentissage de la poésie qui consisterait, selon le grand poète persan d’expression arabe Abou Nawass, à apprendre mille verres et de les oublier. Et l’oubli, on le sait, est plus difficile que la mémorisation. Et ce pour plusieurs raisons dont la plus évidente réside dans la difficulté que l’on éprouve à se défaire d’un acquis devenu raison sociale, composante constitutive de l’identité de l’artiste. La technique apprise ou même acquise dans l’effort de recherche innovante et dont le résultat est la « découverte » de son style propre par l’artiste, si elle n’est pas accompagnée de l’impératif de mise au point auto-critique  permanente, risque de se transformer en obstacle à la liberté nécessaire à toute expression authentique d’enracinement, toujours inachevé, de l’identité artistique du créateur. Toute technique apprise et acquise est souvent  le produit de l’individuation de l’usage des instruments qui permet d’en faire un moyen d’expression libre. L’identité factuelle unique d’une oeuvre est le produit de cette invention permanente de la technique propre à chaque oeuvre, attendu que l’artiste innovent est celui qui se met à l’écoute de l’oeuvre entrain de se faire en se laissant ouvrir à l’imprévu, en étant disponible à la réception du « nouveau, toujours aveugle » pour citer Adorno.

  Tout cela pour dire que si l’oeuvre  de Amina Saoudi Aït Khay relève de l’inimitable,  cela s’explique, en partie, par le fait que le mode de réalisation technique de ses peintures sur soie et de ses tissages, est issu d’un processus, factuellement expérimental et aveugle.

Cela commence avec la peinture sur soie. Vers les débuts des  années 90, Amina s’est inscrite à des cours de peinture sur soie, assurés par une artisane au sein d’un club féminin du  quartier  Bab Saadoun à Tunis. « Le principe de la peinture sur soie tel que le décrivent « les pages jaunes » sur le net, est simple : après avoir fait le dessin au feutre fugace ou par report avec un calque, on applique de la gutta incolore ou non (le serti) pour cloisonner toutes les surfaces, évitant ainsi que la peinture fuse, s’étale et se mélange sur le tissu lors de l’application ». Il s’agit donc d’un dessin déjà prêt que l’on calque sur un tissu tendu sur un canevas  et dont on sertit les traits du calque en les couvrant de gutta avec une burette. L’écoulement du liquide, n’étant pas retenu, comme pour la plume ou le calame par l’incision que l’on effectue au niveau du bec de l’instrument, il en résulte que le recouvrement des traits du dessin calqué s’effectue dans la rapidité, pour assurer la régularité du tracé. Il s’agit donc d’un procédé qui exclue le repentir, l’hésitation et l’improvisation dont le tracé des traits de son dessin s’effectue dans la reprise du déjà là et déjà vu et dont la réalisation relève du travail de l’artisan besogneux et appliqué.

Dès la première séance d’apprentissage, Amina avait refusé de reproduire le motif fleuri qui lui était proposé de sertir, en procédant à la réalisation directe de son dessin à la gutta (au gutta), dont  l’obligation d’exécution rapide et sans hésitation, transformait le traçage de ses traits en jets sans pro-jets et sans dessein pré-vu, nécessairement improvisés, sous la pression de la coulure. Le refus catégorique opposé par l’artisane maîtresse d’atelier à cette démarche a fait que Amina se contenta de cette unique séance d’apprentissage et s’est mise à réaliser des peintures sur soie dont le processus de fabrication deviendra au fil de l’expérience réfléchie, une véritable pratique picturale qui lui faisait produire des oeuvres  dont le contenu visuel est le résultat d’un cheminement graphique qui consistait, comme le dit Paul Klee, non pas à rendre le visible mais à rendre l’invisible visible.

L’évocation du visible et de l’in-visible permet, à présent l’explication de l’introduction ci-haut du terme « aveugle » qualifiant le mode de réalisation technique des peintures sur soie et des tissages de Amina Saoudi Aït Khay. « Être aveugle signifie s’engager consciemment dans l’oubli esthétique pour retrouver derrière notre à-présent vécu, un regard inédit, celui des possibles » écrit Evgen Bavcar dans son article « Le regard d’aveugle ente le mythe, la métaphore et le réel P. 151-163 du livre « l’aveugle et le philosophe aux Editions de la Sorbonne.

  Il s’agit, en fait, d’un débat philosophique ancien qui a été remis à jour par Jacques Derrida. Ce dernier, rappelant le caractère indicible de toute oeuvre d’Art visuel écrit :  « Une œuvre d’art visuel est muette en cela qu’elle est totalement hétérogène à l’ordre du discours, et nullement en ce sens qu’elle lui serait subordonnée ». S’il commence par évoquer l’indicible c’est  pour introduire l’idée de l’in-visibilité du dessin dont le sens cache le trait qui le précède. Ailleurs il dit que « le tableau cache la toile », alors qu’elle est  le support et l’espace dont la concrétion conditionne et la composition et la texture de la surface, à travers laquelle l’artiste  va faire vibrer une couleur ou moduler une ligne, pour « visibiliser » une surface peinte. La visibilisation de l’invisible, dans ce sens, s’obtient par l’oubli du dessein pro-jet porteur de sens, pour pouvoir « observer » le trait-jet qui le fonde, avant même son achèvement et son avènement au visible qui va l’occulter et le refouler dans le non vu du regard aveugle. « La lettre cache le sens et le sens cache la lettre » nous dit Klee. Pour pouvoir « Ob-server » la lettre il faut cesser de la lire et donc de la « voir » au sens de la « penser ». Il en est de même d’une ligne qui lorsqu’elle est « visibilisée », par la main de l’artiste, au moment même où il la trace peut s’observer entrain de « gambader, zigzaguer, serpenter, gonfler, s’amincir, rebondir et s’aplatir » (Klee), encore ouverte, qu’elle est, sur son inachèvement, porteur d’énigme.

Ce qui est vrai pour le tracé d’une ligne ou d’une coulure au gutta, lorsqu’ils sont pris pour leur propre fin et deviennent porteurs de sens pluriel et énigmatique, l’est également pour le support qu’elle visibilisent  simultanément, dans sa matérialité propre. Un support cela se touche, se palpe, se caresse; se reconnait à sa texture et  à son étoffe. Du coup l’on se rend compte que le plaisir sensuel  que nous fait découvrir le traçage d’une ligne de plume ou de crayon ou la coulure de Gutta nous révèle au même moment au plaisir de caresser la surface  veloutée d’un tissage en rapport avec le fil qui le trame. Un fil que l’on noue, tord, retord, torsade ou que l’on tasse  à l’aide d’un batteur tout en veillant à la préservation  de ce qui fait la qualité d’une plage de laine réfractant la lumière en la transformant en musique de fond, pour un oeil capable de « brouter la surface » de l’oeuvre tissée, pour reprendre, encore une fois, une expression de Klee. Ce grand mystique que sa rencontre avec les écheveaux de laine colorée empilés ou accrochés aux murs d’une chope d’artisan à Kairouan l’a révélé à lui-même. C’est à dire à son identité irréductible de peintre…musicien.

Ce discours n’est pas un récit de projection, importé du continent de la théorie de l’Art, pour la légitimation forcée d’une pratique artistique, où le sensible se réduirait à la narration « égocentrée » d’une sensiblerie, pour l’expression de laquelle, on la narre dans le jeu de mots facile dont le caractère ostentatoire de façade, lui sert de caisse de résonance,  au vide sidérant qui l’habite. Ce dont il est question ici, c’est le rendu d’une écoute et d’une observation assidue de tous les jours du travail de Amina.

Et Amina s’est laissée prendre au jeu de l’expérimentation continue dans tout ce qu’elle a entrepris, avec une patience inouïe, durant toutes ces  années, depuis son engagement, au quotidien, sur les chemins de la création artistique, à chaque aube recommencée. Pour elle, il me semble, aujourd’hui qu’elle nait et renait dans le « faire » de l’ouvrage, foncièrement autodidacte, ne craignant pas le repentir ou la récupération de l’accident, conformément, sans le savoir, à l’antique philosophie de l’action qui convertit l’obstacle en stimulus pour la continuation de l’acte résistant de l’innovation « in-tension », dégagée de toute intention préalable qui rendrait son travail buté. Tel que l’attachement à un style, fût-il personnel. Pour elle, le style n’est pas l’artiste, mais l’ouvrage qui s’impose à l’artiste et fait de ce dernier le sujet-objet de sa création dont l’émergence s’inscrit dans un espace temps où l’on « soustrait  ses pas à la logique de l’avant et de l’après » comme le recommande Hallaj, traduit par Massignon.

                                                                     Akouda le 24 septembre 2024

                                                                                      Naceur Ben Cheikh

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