Pour mieux comprendre la situation de cafouillage et de flou généralisé qui domine la scène politique tunisienne aujourd’hui, il faudrait en faire l’analyse objective, dégagée des approches partisanes qui alimentent toutes ce cafouillage et ce flou. Je vais essayer tant soit peu d’établir un constat relativement proche de la réalité politique que nous vivons depuis huit ans. Personnellement j’avais, dès les premières semaines après le 14 Janvier 2011, pris une position claire consistant à annoncer que » la Révolution Tunisienne sera bourguibienne ou ne sera pas » et ce sur la base de ma conviction qu’une fois la liberté d’expression acquise, l’héritage de Bourguiba pourra résister aux effets déstabilisateurs du « Printemps Arabe »sur le moyen ou le long terme. Il fallait aborder la situation nouvelle avec l’optimisme vigilant et authentiquement révolutionnaire et une logique de « résistance » et non de « reconquête du pouvoir ». Et surtout en considérant que la fin ultime de cette révolution que nous voulons spécifiquement tunisienne est l’instauration d’une démocratie avancée digne de la Tunisie de Bourguiba.
Dès sa nomination au poste de Premier Ministre, Béji devait déclarer, au cours de sa première conférence de presse que la dissolution du RCD était une erreur…mais on fera avec. Il va falloir défendre la Révolution contre les mauvaises herbes qui vont chercher à l’étouffer et que la fin ultime de cette dernière était l’instauration de la démocratie. En conséquence, son oeuvre principale, durant cette courte période a été l’organisation d’élections transparentes sans tricheries apparentes au niveau des urnes et la passation du pouvoir à Hammadi Jbali qui s’est effectuée dans une atmosphère de décontraction digne des démocraties les plus avancées. Béji voulait donner l’exemple… tout en sachant pertinemment qu’il venait de prendre le risque de livrer l’Etat aux mains de prédateurs dont le Premier ministre, s’était empressé d’annoncer , au cours d’une réunion tenue au théâtre de plein air de Sousse , l’avènement du Sixième Califat « Rachidique ».
Béji et sa stratégie inaboutie, par manque de partenaires, pour faire réussir la transition démocratique.
Je me souviendrais toujours de cette réunion restreinte, à laquelle j’étais invité quelques jours après l’installation du Nidaa dans son local du Bouheira sous la présidence de Béji, avec à ses côtés Taieb Baccouche en présence entre autres de Boujemaa Remili et Abdelhamid Larguech et d’autres figures de la gauche universitaire pour discuter du contenu de la plateforme politique du nouveau parti. Réunion à laquelle n’a été convié ni Marzouk qui rodait dans les couloirs , ni Hafedh, encore inconnu dans les rangs. Béji devait déclarer « Si nous sommes obligés, pour les déloger de leur faire la guerre, nous la ferons, comme on l’a déjà fait durant la lutte pour l’Indéperndance ». On s’était donné rendez vous pour la semaine d’après mais, sentant l’opportunisme déjà là je n’ai plus participé à aucune réunion politique….jusqu’à celle du mercredi dernier à l’occasion de l’inauguration de la permanence de la campagne de Si Abdelkrim Zbidi avec lequel j’étais lié d’amitié et que j’avais vu pour la dernière fois le jour où j’étais allé le féliciter pour sa nomination au Secrétariat à la Recherche ainsi que Sadok Chaabane qui venait d’ être nommé Ministre de l’Enseignement Supérieur et saluer mon grand ami et mon ministre , feu Dali Jazi qui venait d’être nommé Ministre de la Défense. Mais j’avais continué à soutenir au quotidien l’action de Béji et à m’opposer, par l’analyse politique que je publiais sur mes profils Facebook et mes blogs « naceur.com » et « Paperblog naceur Ben Cheikh » Europe, au gouvernement de la Troïka et au débile de Carthage.
Lors de sa campagne aux présidentielles 2014, à laquelle je m’étais entièrement investi par l’écrit et le visuel graphique, Béji s’était présenté comme le candidat du Wifaq alors que pour les législatives on avait mené campagne en tant front ant-Nahdha. Au vu des résultats qui n’ont pas donné la majorité absolue à Nidaa, et après le refus du groupe du Front de se joindre à une possible coalition modrniste, pour confiner Ennahdha et ses sattélites dans l’opposition, Béji n’avait de choix que de se rabattre sur son Tawafuq avec Ghanouchi qui a déjà permis de sortir Laaraidh du Premier Ministère et son remplacement par l’un de ses ministres Mahdi Jomaa. D’autant plus que le conglomérat d’opportunistes qui siègeront au Parlement vont « privatiser » la légitimité qu’ils ont acquises en tant qu’élus, membres de partis, pour l’investir sur le marché des parlementaires. Ghanouchi en profite pour réduire en miettes le Nidaa de Béji en encourageant les égoïsmes sacrés, et les prétentions disproportionnées des beaux-parleurs. Jusqu’au moment où Béji le congédie et inaugure une guerre de positions entre lui et le Chef du Gouvernement Youssef Chahed qui pour garder le pouvoir s’acoquine avec Ghanouchi qu’il met sous sa protection en échange de son soutien non déclaré.
Et durant cinq années on aura assisté à la déconfiture de tous les partis politiques et au désaveu par la majorité du peuple de l’ensemble de ces politicards véreux . Ce qui a rendu l’espace politique facilement envahissable par les populistes de tous bords. RCDistes revanchards et contre-révolutionnaires de Abir, le spécialiste en Com devenu Mafiusu qui se prend pour un bandit corse, Le Noble de Kairouan déguisé en Richard Coeur de Lion et la jeune Olfa la très culturellement charitable.
Ce que je retiens de tout cela, c’est la stratégie politique suivi par Béji pour neutraliser Nahdha. Cela a consisté à faire semblant de partage son pouvoir de Président avec Ghanouchi et de mettre en évidence le caractère consensuel du Gouvernement pour protéger la Tunisie de l’agressivité déclarée de l’Amérique de la Nouvelle droite. Rappelons nous ce jour où faisant preuve d’une courtoisie spectaculaire à l’égard du Diable incarné, une certaine Madeleine Albright en s’adressant à elle presque en ces termes : Notre gouvernement est consensuel, Nous avons là un grand ministre qui n’est pas de notre parti, en désignant Ladhari qui n’était encore qu’un secrétaire d’Etat. Tout en continuant à livrer Nahdha en pâture à la critique quotidienne et lancinante de milliers de Facebookers dont il a sacralisé la liberté d’expression débridée. Il voulait les avoir à l’usure ou les ramener à l’Islam. Mais, pour cela il fallait pouvoir jouer en équipe avec le Chef du Gouvernement. Et ce dernier s’est révélé récalcitrant faisant passer l’interêt de son clan de jeunistes myopes subjugués par les attraits du pouvoir, avant celui de la Tunisie et sa transition démocratique.
Abdelkrim Zbidi, l’homme de la seconde chance
Le départ de Béji allait être l’occasion de l’arrivée au devant de la scène d’un homme au profil radicalement nouveau : discret, travailleur, ayant un sens profond de l’Etat et de l’interêt supérieur de la Nation, observateur méthodique et presque scientifique de la déconfiture dramatique du corps politique dans son ensemble, gangréné par l’opportunisme. Un homme qui avait la lourde responsabilité du Ministère de Souveraineté le plus important, de l’autonomie duquel dépend la survie de l’Etat. Et ce, au moment où tout semblait définitivement corrompu par le virus de Nahdha, qui durant son passage aux commandes devait non seulement saigner à blanc la trésorerie de l’Etat, racketter l’économie nationale s’emparer du pouvoir judiciaire tout en continuant à revendiquer son autonomie par rapport au reste de l’exécutif et parasiter tous les rouages de l’Etat en y incrustant une administration parallèle ayant pour tache de gripper l’ensemble du système que le peuple tunisien avait mis plus de cinquante ans à édifier sous la conduite éclairée de Bourguiba. Cet homme politique expérimenté, a su investir durant des années, l’autonomie du Ministère de la Défense dont il avait la charge de la gestion sous l’autorité directe du Président de la République, pour soustraire l’Armée Nationale des aléas du pouvoir exécutif partisan livré aux chantages réciproques des différentes mafias. Se maintenir à égale distance de tous les autres centre du pouvoir dont il observait la déconfiture, en se contentant de lâcher de temps en temps quelques phrases qui en disent long sur sa capacité de résistance et son sens aigu de la responsabilité et du devoir.
Ce qu’il fallait préserver, c’est d’abord la capacité de notre armée à assurer la défense de nos frontières, avec des moyens humains et technologiques en continuelle amélioration, au moment où une grande frange de la population, comprenant des députés, souhaitaient lire ou entendre le communiqué numéro un. En connivence avec Béji, il savait lui aussi distinguer l’essentiel de l’important. Et l’essentiel c’était à leurs yeux la réussite de l’expérience démocratique tunisienne dont dépend l’avenir de l’Etat moderne fondé par Bourguiba. Rares sont ceux qui réalisent que la démocratie n’est pas seulement un mode de gouvernement et d’exercice partagé du pouvoir mais aussi le moteur le plus important du développement et que la démocratie est une Culture qui s’apprend au quotidien et que la priorité que l’on accorde à ce moyen de survie qu’est le pain ne devrait pas nous faire oublier l’importance stratégique de la Culture.
Avec quelques bribes de phrases lâchées sur le ton du soupir. telle que « un jour le peuple demandera des comptes à cette classe politique …. » ou bien cette autre phrase prononcée avec une nonchalance inouïe devant des parlementaires qui n’en revenaient pas : « je ne sais pas faire de la politique, parce que pour faire de la politique il faut savoir mentir et moi je ne suis pas capable de mentir ». Abdfelkrim Zbidi a , en toute sobriété , su toucher, avec le minimum de mots , toute une frange de la population , la majorité dite silencieuse qui n’a pas perdu sa dignité d’hommes libres et dont le fond d’honnêteté lui a fait reconnaitre et deviner l’honnêteté radicale de cet homme à la Posture Politique Autre que d’aucuns parmi les âmes corrompues qui occupent le haut du pavé vont y voir de la naïveté politique.
En fait, mine de rien et en faisant preuve d’une grande économie de moyens, l’homme, en toute assurance; discrétion et surtout retenue, aura su souffler à ses interlocuteurs journalistes qu’il était un homme de stratégie de longue haleine. J’ai remarqué que parmi ses détracteurs personne n’a relevé sa réponse brève et claire à propos de son rapport à Lotfi Zitoune qu’il a qualifié « de son ami et….qu’ils ont fait, tous les deux connaissance au moment où Zitoune occupait le poste de conseiller au cabinet de Hamadi Jbali ». En ajoutant que Lotfi Zitoune n’a aucun rapport avec Nahdha. L’information est d’importance telle qu’aucun de ceux qui vont lui faire le faux procès d’être en connivence avec Nahdha, n’osera revenir sur cet « aveu » prononcé, en toute clarté sur le ton souverain de l’ordre en rapport avec ce qui semblait tenir de l’interêt supérieur de l’Etat sur lequel il était en droit d’obligation de réserve, pour s’interdire d’en dire plus. Quelle sens donner à cette amitié, « construite » dans la discrétion , entre un Ministre de la Défense et un Conseiller surveillant à la solde de Ghanouchi, au cabinet du Sixième Calife. Surtout lorsqu’on sait que Zitoune n’est autre que la boite noire de Ghanouchi au moment de leur « séjour » londonien et son conseiller le plus proche à Monplaisir . Comment ne pas lier cette information avec le fait que Zitoune, depuis déjà plus d’une année n’a cessé de prendre ses distances à l’égard d’Ennahdha et de sonner l’alarme quant à l’urgence pour l’organisation islamiste de Ghanouchi de muer en partie politique réel et sans rapport aucun avec l’Islam politique. En quelque sorte accepter de mourir pour renaître radicalement autre.
N’est ce pas faire preuve de stratégie que d’agir dans la discrétion la plus totale dans le sens souhaité par Béji qui avait misé sur sa capacité à « tunisifier » l’organisation de Ghanouchi, à vocation terroriste d’origine, en en faisant un partenaire politique comme les autres intégré dans le jeu démocratique spécifiquement tunisien ? Ce qui explique également sa réponse à la question qui lui a été posée par le correspondant de langue arabe de l’Agence Reuter où il a précisé qu’il traitera avec Ennahdha comme composante de l’ensemble des partis représentés au Parlement, en ajoutant à condition qu’elle respecte notre mode de vie et notre vision propre de Tunisiens et qu’elle ne cherche pas à le dénaturer. En quelque sorte sous condition d’abandonner radicalement le fond de commerce populiste qui l’a fait accéder au pouvoir. Tout autre attitude éradicatrice nuira à la réalisation de la fin ultime de notre Révolution qui est la dotation de la Tunisie d’un système de gouvernement démocratique avancé et son implantation durable par la Culture du Dialogue.
Que Dieu préserve la Tunisie des agissements fondamentalement destructeurs de nos politiciens et inspire notre peuple la clairvoyance qui lui permettra de reconnaitre en Abdelkrim Zbidi l’homme de la seconde chance qu’il faut soutenir par devoir patriotique.
Naceur Ben Cheikh, Akouda le 31 Août 2019
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