La peinture serait-elle une théologie masquée ? L’Action Magazine du 29 Janvier 1985
A parcourir les grandes oeuvres que nous ont léguées nos ancêtres (ceux que nous nous donnons), l’on se rend compte qu’à aucun moment , ils n’ont été habités, autant que nous, aujourd’hui, par le sens historique. Ou plutôt par leurs destinées dans l’Histoire. Certes, ils se souciaient du sens, de l’apport et de la qualité de leurs oeuvres, dans le contexte historique particulier qui était le leur. Mais ce souci n’atteignait pas le degré de préoccupation véritablement aliénante qui est la nôtre aujourd’hui.
Nous qui sommes « au sommet de la pyramide » (qu’elle soit posée ) sur la tête ou sur la base, cela importe peu) et contemplons, (comme l’ a dit Napoléon en Egypte) tant de siècles d’histoire passée. D’aucuns, parmi nous, oubliant la méditation enrichissante et éternellement recommencée sur le sens de l’existence et la meilleure manière de l’assumer, ne savent plus que théoriser, en vain, sur le Sens de l’Histoire.Pour mieux le maîtriser , par la compréhension dominatrice de son évolution.
Nous faisons remarquer, tout de suite que cette préoccupation est toujours le lot des spectateurs, ceux qui spéculent sur le cours du temps.Comme on spécule à la bourse des valeurs immobilières.
Ou bien comme font les philosophes.
Ceux qui font l’histoire, se réalisent , en la réalisant sur le mode du quotidien. Ils n’ont pas de stratégie « pré-méditée », mais agissent stratégiquement. D’histoire théorique, ils ne se préoccupent guère. Car, ils sont constamment occupés à vivre celle qui les porte.
Tels étaient les ancêtres que nous nous donnons. Comme tels, sont imaginés les hommes de demain, en cette époque héroïque de faillite des idéologies . Et l’avenir se donne toujours aux hommes d’action.
Ceci était la désignation nécessaire, du lieu de ce discours qui se fait. Une mise au point, destinée à en relativiser la portée et à donner les clefs qui permettent de comprendre la logique qui le sous-tend.
Venons au fait : Il sera question de peintres, de peintures de musée et d’Histoire, fût-elle celle que l’on désigne sous le qualificatif d’actuelle.
Peintres maghrébins, bien sûr.
D’abord le discours qui les fonde.
L’on sait que le peintre , en tant que tel, est un personnage peu ordinaire au sein de nos sociétés . Non pas à cause de son identification par le corps social à un être plus sensible , plus jaloux de son identité propre, plus soucieux d’originalité que le commun des mortels. Non pas à cause, non plus, du caractère « prophétique » de son activité.
Il est peu ordinaire, parce qu’on voit les images qu’il produit, dans des lieux » privilégiés » , qu’ils soient publiques ou privés. Parce qu’il est sacralisé par lkes masse-média et que le discours que l’on y tient sur lui, sur le personnage qu’il re-présente avec les attributs d’usage , lui accorde des fonctions que l’on dit spiritualisantes , dans une société qui a besoin autant d’esprit que de pain.
Ce que l’on oublie, c’est que l’esprit cela ne se consomme pas, cela se produit en chaque être, qui fait l’effort de le mériter. Effort motivé par le désir transformateur
Mais bien qu’elle soit importante, la légitimation par l’esprit, n’est pas aussi importante que celle qui se fait par le Sens de l’Histoire. La pratique de la peinture serait un signe de progrès, de développement et d’accès à la civilisation. C’est pourquoi, pour le commun des mortels, comprendre la peinture est une chose mentale ou bien une capacité mystérieuse à pénétrer le sens absent du Sacré. Progrès, développement de la Civilisation dont la finalité suprême serait la réalisation de l’Esprit. L’Histoire, comme réalisation de l’Esprit est présente également dans un certain type de discours sur l’Art où l’on remarque la connivence objective entre l’Historien et le Philosophe. Ainsi l’Esthétique, entendue et propagée par les philosophes ne parle pas des oeuvres d’Art mais plutôt de leur sens. De leur signification. En fait, pour ces penseurs, ces oeuvres ne sont pas. Elles signifient. Elles ne constituent pas un mode de penser, mais des supports de pensées. Tout cela à cause de la pensée théologique qui leur fait croire qu’il n’ a de pensée que théorique. Et toute activité de penser qui ne le serait pas tombe au rang de délire artistique, essai littéraire, aphorismes, pratique de l’art etc…
Ce qui fonde, donc, l’acte de peindre c’est qu’il s’inscrit dans le Sens de l’Histoire, en tant que Théorie. Ce qui ne va pas sans interférer dans les motivations qui sont à l’origine de l’interêt qu’éprouvent pour l’Art le Philosophe, l’Historien et l’homme de Pouvoir. Pour les trois, les oeuvres picturales font partie de la catégorie de idéologies. Il s’agit, de les traiter comme telles. Soit pour les récupérer dans le cadre du discours philosophique ( théologique ) de Connaissance , soit pour s’en servir en tant que témoignage devant le tribunal de l’Histoire dont l’historien se considère comme le Juge Suprême , soit pour les mettre au service de l’idéal de progrès social que vise le projet politique
Mais il y a philosophe et philosophe. Ici, c’est le métaphysicien qui fait partie de l’Institution. De même qu’aujourd’hui, les historiens ne sont pas tous des interprètes unilatéraux du sens de l’Histoire et que tous les hommes de pouvoir ne sont pas nécessairement des idéologues.
C’est pourquoi toute variation , au niveau de ces trois intervenants aura des incidences sur la nature de son interférence sur la production artistique. Car, contrairement à certaines idées reçues sur la connivence objective entre les hommes de pouvoir, les historiens et les philosophes , en tant que » partenaires idéologiques » dont les intérêts, sont réputés liés il arrive et il est arrivé que le plus dogmatique ne soit pas celui que l’on pense . A la lumière de cette remarque, l’on peut se demander dans quelle mesure le discours politique ne met pas en évidence le fait que contrairement à d’autres pays arabes, l’interférence théorisante (et donc déréalisante) de l’Histoire en tant que Théorie , sur la production picturale a été moins le fait du pouvoir politique que de celui dont disposent les intellectuels métaphysiciens.
Et les artistes dans tout cela ?
Dans leur majorité, en tant que praticiens de l’Art, ils ne peuvent être que les alliés objectifs des trois sortes de théoriciens que nous venons d’évoquer. Tout comme eux, ils situent ils situent leur activité dans la perspective du discours métaphysique sur l’Histoire en tant que manifestation de l’Esprit. La distribution des tâches entre eux et le Théoricien qui les institue producteurs d’idéologies relève de la complémentarité qui existe entre une histoire qui se fait loin des données concrètes de la pratique et une pratique fondée uniquement sur le savoir faire technique et l’habileté manuelle.
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